18/12/2008

Arpenter Shanghai-(II) La Rivière SuZhou

--A quoi espérer retourner encore sur les bords du lac? (ZHANG Xingyong/ [Ming])

Nous deux ont voulu aller voir Su Zhou He, Neige et moi. C’est parfait. Neige a toujours été attirée par le film de Lou Ye, Su Zhou He, le mélange d’une légende d’amour avec la nostalgie tranquille d’une vie désordonée, brute et bruyante, résolue ; tout sauf l’espoir, qui se perd dès le début du film : «-Si un jour je m’en vais, t’irais me chercher comme Ma Da (ie : le Moteur, nom du héros) ? -Sûrement. -Tu iras toujours me chercher ? -Oui. -Jusqu’à la mort ? -...Oui. -Tu mens. »

Moi, j’ai eu envie de revisiter le quartier artistique de Mo Gan Shan Lu, aujourd’hui portant le nom de « la Zone Artistique de M50 » ; de voir simplement ce qu’est devenu le bord de l’eau. Les bords de l’eau. Quand on s’estime un attachement particulier pour les eaux, matières largement féminines, l’on ne peut s’empêcher d’y aller faire une fugue.

C’était décidé, on irait voir le quartier proche de la Gare.

Lorsque le bus tourna à gauche au côté nord du Bund, que l’embouchure de la Rivière se présenta sous nos yeux, je montrai l’extérieur : « Regarde, c’est Su Zhou He. » « Déjà ? »

Déjà, oui. Sauf le Fleuve Huangpu, le cours d’eau que l’on aurait vu dans cette ville, c’est Su Zhou He, ou ses branches, qui portent chacunes leur propre nom, et qui pénètrent cette ville dans les zones différentes à l’ouest comme à l’est.

« Et c’est là où est tourné les scènes de Su Zhou He ; souviens-toi du gros pont en acier ? C’est le Wai Bai Du Qiao. Là. » Le Bund Free Crossing Bridge, l’ont traduit ainsi les Anglais qui l’ont construit en 1907. La drôle esthétique de cette ville part souvent de l’idée de favoriser les business, ce qui n’a guère changé depuis un siècle. Mais j’ai compris seulement maintenant que j’aurais dû inventer, lors de notre passage à l’embouchure. Wai Bai Du Qiao n’est pas « là », il est déménagé, parti en restauration jusqu’au printemps prochain, dit la presse. Je deverais avoir vu ce pont dans une l’autre fois, où je faisais le trajet entre Shanghai Building et la vieille ville avec l’homme que j’avais aimé.

La bulle d’illusion me quittait un moment lorsque le bus nous laissa au terminus près de la Gare. J’y ai jamais été. Enfin, je n’ai jamais accédé au Su Zhou He depuis cet endroit-là. Alors on demandait le chemin. « Là ! », l’homme mou pointa vaguement son index vers l’autre côté de la rue. Autant s’impoviser. Après quelques détours, nous voilà devant la barrière d’un quartier résidentiel. « Interdit d’accès aux inconnus. » Se lit sur un panneau. Ah bon ? Mais quel chemin à prendre ? Demandons.

Le garde nous indiqua gentillement le chemin, nous céda l’accès. A peu de pas près, nous découverîmes la rivière qui coulait tranquillement à notre gauche. L’Allégresse nous occupait. J’ai compris qu’auparavant, j’avais toujours accédé à la rue de Mo Gan Shan depuis l’autre rive, où il y a les barrages ; et que pour cette raison, je n’avais jamais pu voir de face ces usines désertes qui demeurent.

Et il n’y a pas que les usines qui demeurent. Certainement pas. Dès la première vue, il est impossible de ne pas remarquer cette jolie maison en brique, qui se tient toute seule dans un espace assez large. Comme on dit, tout est rasé sauf celle-ci, devenue monument historique et ainsi échappée au sort de disparaître. Est écrit là-haut : « Island ». Demeure des insulaires, irais-je interpréter ainsi. Joli nom.

Un homme était venu vers nous, nous aidait à prendre la photo, nous ouvrait la parole pour raconter les histoires en mandarin avec accent. Island s’est transformé en gallerie d’art. C’est ça. « Et les usines ? » « Les usines, ah...ces deux-là en rouge, voyez, ça date de loin...on dirait dans les 1920s. Elles sont jolies, non ? ...Et celle en blanc, c’est plus récent. Derrière, le bleu, c’est encore plus récent...Il y a des années, toutes les usines sont déménagées en banlieu. La pollution, vous savez. »

Il dit que bien des ouvriers eurent dû subir du chômage, Xia Gang, mais qu’aujourd’hui, arrivés tous à l’âge de retraite, ils vivaient correctement grâce à la sécurité sociale actuelle.

--Et vous, Monsieur, que faisiez-vous ? Ouvrier?
--Oui, ouvrier. Ah...j'habite ici depuis long.
--Et, là, vous vous promenez ?
--Promener, hélas, oui... Attends la mort ! Il se moquait en souriant.

Tout le monde attend la mort, Monsieur. Le faire dans les promenades aux bords de l’eau, c’est du bonheur. Mon père est comme vous, Monsieur. Ouvrier. Vous êtes bons hommes, vous, les anciens ouvriers shanghaiens ; vous qui avez éliminé de votre dictionnaire tous les termes concernant le bonheur, vous ne vous anéantissez pas, pour autant.

--Avant, n’est-ce pas, c’étaient tous les bidonvilles ! Tout au long du barrage !

Monsieur, Monsieur, je m’en souviens. Les rives étaient bien sales, s'y réunissaient les miséreux. Les bateaux pauvres s’alignaient au bord, ou se déplaçaient doucement sur l’eau qui sentaient légèrement. J’étais toute petite, la rivière me dégoûtait parfois, mais en même temps, à chaque fois que je m’y trouvais, je m’en réjouissais. Je pédalais loin à l’époque, à deux, avec ma mère ou mon père, ou à trois, avec ma mère et mon père. Trois vélos, ensemble. Je ne connaissais point le chemin, suivais simplement les grands, le long du barrage. Je savais pourtant que vers l’ouest, c’était pour voir la mère de mon père ; et vers le nord-est, ô là là, c’était loin, c’était une heure de route, pour voir la mère de ma mère. J’adorais passer les ponts. Ce n’étaient pas les grands ponts, en passant par lesquels l’on était forcé de ramer pour y monter et, pour descendre, on s’envolait en lâchant le frein.

C’étaient les ponts en arc, médiocre, pour ainsi dire. Pour traverser la rivière, on descendit le vélo, fit la queue, poussa le vélo en avant sur une pente étroite à la bordure des escaliers. C’était le jeu d’équilibre dans lequel je me hâtais de prouver que j’étais grande fille. Et j’aimais rester un moment au plein milieu du pont, regarder la rivière d’une couleur terne et au dessus de laquelle flottaient les ordures. Regarder passer les bateaux, les gens qui venaient et qui s’en allaient. Et puis, c’était le délice pur de pédaler le long des barrages, élevés ou bas, de se déplacer avec les bateaux, regarder les rives qui se varie d’un quartier à l’autre, tout en se discutant à haute voix.

Les barrages sont transformés aujourd’hui en passage de promenade joli et propre. Monsieur l'ancien ouvrier continuait à nous parler de la Rivière en mandarin avec son accent shanghaien, disant que les quais étaient en train de se construire et qu’il y aurait bientôt les bateaux. "Imaginez, on pourra visiter Su Zhou He en bateau !" rit-il.

Ah, le ferry, oui. Ferry de rêve, ferry de cauchemar et de fantasme que j’avais connu lors de ma dernière fugue britannique... Ca alors, on aura bientôt le ferry à Shanghai, comme les mouches à Paris ou à Londres ou comme le vaporetto vénitien. L’idée est chouette, quand on y pense. Il faudrait juste que la pollution se réduisse et que les sites développés soient suffisamment attirants. On se déplacera sur Su Zhou He en ferry, non pas pour visiter les sites touristiques mais pour retracer le trajet du vélo d’autre fois. Bien futuriste, et humoristique.








(Photo à gauche/moi) (Photo à droite/Neige)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très joli texte, la recherche de la rivière aussi difficile que la recherche de la jeune fille par Mardar.
Moi aussi j'ai beaucoup aimé ce film.
je le repasse souvent.

Anonyme a dit…

J'aime la mélancolie et la douceur de ce texte.