Umm...ça sent académique ici. Je dirais oui, pour ces semaines de la rentrée. La reprise des travaux précédents, le bilan et le plan. Les rdv de la rentrée, les rencontres au centre du monde, la vie renouvellée, le soleil et la mer à en profiter... Et je me laisse boukiner à gauche et à droite, et je continue l'écriture actuelle ou virtuelle.J'avais fait trois dossiers l'année dernière, voilà celui qui me plaît et qui m'inspire le plus.
Un Saint Malsain
---l'Incohésion du processus d'hétérologie dans Pour en Finir avec le Jugement de Dieu d' Antonin ARTAUD
Seminaire : Master II Hétérologie- Pensée Sacrificielle et Processus hétérologique
Dirigé par : M. GIRARD Didier
Rédigé par : Mlle DONG Zhihong
1ière Année Master Mundus « Crossway in Humanities »
Université de Perpignan Via Domitia
Avril. 2007
Table de Matière
INTRODUCTION
I. IMAGI- : Forme dégradée
II. ACTION : Force radicale
III. Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
-Que c'est l'Hétérologie ?
-Je ne sais pas.
-Pourquoi ?
-Pourquoi quoi ?
-Mais... qu'est-ce que tu as ?
-J'ai vu un gouffre. Ça tourne la tête.
-Ah bon...
Para-Transmission
L' Hétérologie est indéfinissable dans le dictionnaire. Mais l' hétéro- trouve son opposé dans un système dichotomique : comme l'indique le Petit Robert dans l'explication de l'adjectif « hétérologue », ce hétéro- se définit selon l' homo- : c'est un système autre par rapport à d'autres parties d'un organisme.
L'Hétérologie peut alors être défini dans ce sens. En bref, c'est la science de tout autre, dont une position d'au-delà par rapport à cet organisme. Cette position, car c'est une science sans référence aucune dans le système logique : ni la raison ni l'irrationnel, mais la dé-raison, c'est-à-dire une raison dont le sens dérivé de sa routine établie. Cela peut être également un su- : non pas « j'ai su », mais suspect, suspense, voire subversion de ce que j'ai su. (voire même de ce que j'ai à savoir).
L'expérience intellectuelle de cette science hétérogène ne serait-elle pas une sorte de révolte vis-à-vis de l'autorité de la raison, mais plutôt des rencontres des chocs par rapport à des savoirs canoniques: C'est d'essayer de penser l'impensable.
L'Incohésion : littéralement, cette segmentation du processus hétérologique que nous allons traiter dans le texte suivant se définit comme ce qui n'est pas « cohésif ». Ne faisant pas partie du monde d'ensemble, celui propre à l'incohésion se trouve à côté de ce dernier. On peut emprunter une figure géométrique pour mieux comprendre la position de l'incohésion ( cette vision physique est d'ailleurs l'une des approches assez efficace dans le système de l'Hétérologie) : figure de la tangente, qui est sur le point de changer le sens du mouvement et d'où la nature inhérente de l'incohésion : l'intempestif à la dimension verticale, et l'incongru à la dimension horizontale.
A part cela, il importe aussi à noter que, malgré l'incohérence externe, l'intérieur de l'incohésion se trouve pourtant structuré dans son global, pour le bien fondé d'un espace intrinsèque. Ce n'est donc pas un point tangent qui s'enfuit mais une sphère qui va se diriger le long de sa propre orbite.
Circonstances
Il s'agit dans un premier temps de la théorie de Georges Bataille, à qui l'on doit la notion néologique de « l'hété-rologie » et la pensée sacrificielle, le sacré en gros, comme déjà indiqué dans le titre du séminaire. Il s'agit ensuite de l'époque des années 30s du XXe Siècle, celle d'entre-deux-guerres. Marquée par le mouvement surréaliste, cette époque constate un tournant de la pensée contemporaine, et ce mouvement même est comme une tangente, qui se dirige vers l'impureté, jadis écartée par la tradition intellectuelle. Les créateurs sont souvent « polymorphes » qui présentent à travers leurs oeuvres le sacrifice, manifestant à la fois la frénésie et l'indifférence dans la réalisation d'un automate spirituel voire celle de l'auto-destruction.
Parmi ces créateurs on devrait compter Antonin Artaud, homme d'écriture prolifique, ou poète maudit, dont l'oeuvre multiforme souvent dégagée d'une tension malsaine, néfaste même, cela ayant en partie pour cause de son expérience comme malade psychiatrique dans la maison de santé. Il essaie constamment à mettre en avant la saleté et la cruauté humaines, l'oeuvre et le corps demeurant inséparables dans sa création. En ce sens, il est plus que surréaliste, ou plutôt à part de cette communauté d'avant-garde.
Dans l'abondance de son oeuvre, l'émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu est très remarquable comme un cas de référence dans notre analyse de l'incohésion. Réalisée en novembre 1947 et interdite à la veille de sa diffusion par le directeur de la station radiophonique, c'est à la fois une manifestation vibrante conçue par Artaud de son « théâtre de la cruauté », et la clôture de sa création et de sa vie même.
Tout ce qui se passe autour de cette émission (l'enregistrement, la malédiction, les polémiques après l'interdiction, et enfin la mort de l'écrivain) se présente devant nous comme un tout sacrificiel, incarnant aussi bien les théories de Georges Bataille, qui à l'époque a eu une influence importante sur Artaud. Nous allons donc nous mettre un instant dans l'atmosphère de cette fameuse messe noire, d'où une sorte d'imagin-action comme confluence de la force et l'effet de choc ; en traversant cette étrange de vibration nous essayerons de capter les symptômes de l'incohésion mais aussi de repérer le parcours de sa réalisation, et de voir vers quel sens aboutira ce sacrifice délirant.
I. IMAGI- : forme dégradée
Il faut que tout soit rangé
A un point de près
Dans un ordre fulminant.
---Antonin Artaud
Cette ouverture de l'émission est comme un résumé bien implicite de l'Incohésion : tout est rangé, dans un ordre à côté et autre.
On dirait un bloc d'image-excrément. Ce doit être la première impression que se donne l'auditeur quand surprendent les mots de souillure aussi concrètes que vulgaires : la fécalité(comme fécalithe), la merde, le caca...le sang, la viande, les ossements, la chaire rouge, la fécondation artificielle avec le sperme et le produit synthétique...Que c'est affreux, cette manifestation des déchets corporels du genre humain !
Justement. Artaud le Momo comprend très bien la magie du langage verbal dans la tradition occidentale : le mot, c'est l'illustration de la pensée, ça donne image ; et « le parler, c'est le penser ». Il expose donc ces tas de gaspillages corporels que l'homme civilisé néglige volontairement pour ne pas s'y mettre en face. C'est une vision purement physique, comme physiologique, et cette sorte de précision physique possède un pouvoir tellement magique qu'elle va engager l'être entier, mettant toute la représentation à l'épreuve du corps sensible. De telle façon il invite(ou plutôt impose) les auditeurs à voir directement et à comprendre littéralement cet enchaînement de la malpropreté, avant d'annoncer d'un ton plus ou moins ironique que « là où ça sent la merde, ça sent l'être ; [...] l'homme ne peut que désirer un changement corporel de fond ».
Cette drôle d'installation plastique-déchet établie, qui démontre « la saleté sociale officiellement reconnue, et recommandée », comme déclaré dans la partie de la Conclusion de l'émission, Artaud parvient ainsi à une vérité d'ordre métaphysique, toute crue.
En plus des transcriptions verbales propres au corps humain, on constate en même temps dans l'émission plusieurs scènes à l'échelle rituelle : L'homme civilisé qui mange délicatement le rat, le peuple de l'ancien continent colombien qui mangent l'opuntia ainsi que la terre où ils vivent, un septième soleil cru, et enfin, un dieu réduit au microbe. De tels rites aussi écoeurants qu'effrayants, bizarrement néfastes.
C'est que ceux qui vivent sur la Terre de l'ancienne Amérique est « un peuple étrangement civilisé » , et qui ont cru en « une forme de civilisation basée sur le principe exclusif de la cruauté ». Et donc qu'est-ce que cette cruauté, qu'Artaud a voulu d'ailleurs monté comme projet de théâtre ? Voyons ce qu'il a défini dans la septième conclusion de l'émission: « la cruauté, c'est expériencé par le sang et jusqu'au sang ; c'est Dieu, le hasard bestial de l'humanité. »
Voilà la sorcellerie d'Artaud. Dans l'atmosphère obscure pour ne pas dire obscène, l'image de l'homme civilisé codé travestie, celle de Dieu a souffert une distorsion piquante, qui fait du sacré éternel un hasard bestial, de l'infini dehors une infime dedans. Tout cela est comme ce que dénonce la voix féminine dans l'émission : « le ton majeur du rite est justement l'ABOLITION de la Croix ! », ce qui renvoie dans un premier temps à la stratégie de la triomphe de l'homme surexcellent: non pas rompre définitivement avec Dieu, mais le faire déplacer de la Croix pour le rendre incongru en le réduisant au microbetoujours omniprésent, flottant comme un fantôme, suspendu dans un espace nowhere. Au bout de cette opération, la ligne de démarcation entre la civilisation et la barbarie, entre le sacré et le profane, et enfin, entre le prototype canonique et l'anamorphose, est devenu un zigzag.
D'exposer la vérité métaphysique comme de déformer le sacré, dans les deux cas Artaud a su dé-ranger nos yeux, et probablement notre estomac, quand nous nous ressentons la nausée. C'est l'impureté et l'immoralité qu'il impose, qu'il fait ressentir, et ces deux-là favorise justement l'établissement d'un Tout, un espace de pureté , qui n'inspire rien qu'un effet de choc.
II. ACTION: Force radicale
Il y a dans la nature et il subsiste dans l'homme un mouvement qui toujours excède les limites...Un mouvement par définition ce dont jamais rien ne rendra compte.
---Georges Bataille
L'étape de la défiguration du monde en ordre achevée, nous constatons un espace autre, établi à côté de notre système, où il n'y a que des excréments qui répugnent notre sensation oculaire.
Artaud ne s'arrête pas là. Dans cette deuxième étape, qui se réalise en même temps que la première mais dans un autre registre sensoriel, celui de l'effet sonore, Artaud continue à bouleverser les auditeurs, de façon plus violente, acharnée, ondulée ; il va renforcer le choc, déjà effectué au cours de l'opération précédente, « dans un ordre fulminant ».
C'est un remous foudroyant que l'on entend dans l'émission. Dans les premières minutes, Artaud introduit dans l'espace radiophonique une ambiance angoissante en parlant avec un ton tout étrangec'est encore un ton, au moins, par rapport à ce que l'on entend dans les épisodes qui suivent : l'auteur, ainsi que les trois autres acteurs dans l'émission, vont accentuer ce ton poignant, faisant du parler un hurlement hystérique, un cri d'animaux même. Sorciers, ces acteurs se laissent éructer les injures, automatiquement, sans contrôles ni réflexions aucunes.
C'est ce que nous appelons l'éjaculation des mots, un acte humain d'instinct qui dégage tant la morbidité que l'animalité, d'une vigueur effrayante. Obscène, tout cela, n'est-ce pas, mais c'est juste cette pulsion primitive qu'Artaud entend monter, comme montrer. Plus que cela, cette pulsion est même exigée par l'auteur, de façon la plus irrationnelle possible, en faveur de la réalisation de cet acte de barbouille. Cette sorte de
contrainte est propre au processus incohérent que nous traitons ici : que toute chose se passe accidentellement, comme si c'était d'un hasard objectif.
L'exigence de cette sorte de hasard est bien réussie, de sorte que nous nous retrouvons tête perdue devant cette scène vibrante: nous faisons effort de suivre les mots qui jaillissent et qui frappent l'oreille, alors que nous nous rendons compte d'une suite du soit-disant raisonnement pointillé, tout hermétique, puisque non causal.
Et bien nous y sommes. C'est qu'Artaud invite à penser comme tel, une manière de pensée « hagarde et aveugle », propre à l'animal acéphale, comme théorisait Bataille ; et l'effet de cette aveugle naïveté sera ce qu' «elle devient si grande que tout obstacle se lève devant la force infinie entrée en jeu ; [...] ce qui n'existait pas s'éveille et traverse le temps de sa démarche folle ou ferme. » :
Ce qui est grave, est que nous savons après l'ordre de ce monde, il y en a un autre. Quel est-il ? nous ne le savons pas. Le nombre est l'ordre de suppositions possibles dans ce domaine est jusetment l'infini....Qu'est-ce que l'infini ? nous ne le savons pas , c'est un mot pour indiquer l'ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée. Et quelles sont juste que la conscience ? Ô juste nous ne le savons pas ... C'est le néant. Un néant dont nous nous servons pour indiquer quand nous savons pas quelque chose, de quel côté nous ne le savons, et nous disons alors la conscience du côté de la conscience, mais il y a cent mille autre à côté.[...]
Cette aspiration à penser à l'animalité acéphale, c'est-à-dire à la non-pensée, sera d'autant plus renforcée dans l'atmosphère même de l'émission, grâce au fond sonore, improvisé par quelques excellents musiciens avec tambour, percussion, xylophone, gamelan, cloche d'église et quelques déflagrations. Cette tempête musicale a composé dans l'ensemble une espèce de symphonie chaotique, qui chahute le nerf sensoriel des auditeurs avant de susciter chez eux un égarement palpable.
De là s'est établi en fait un circuit turbulent, aussi vibrant qu'électrique, dans lequel nous perdons toute référence de la raison, nous laissant hypnotiser, envoûter. Voyons la confirmation de cet effet par Artaud lui-même dans la polémique à lendemain de la censure de l'émission :
Il y a dans cette émission que je fais les éléments grinçants, lancinants, décadrés, détonants, pour que, montés dans un ordre neuf, ils fassent preuve que le plus cherché est déjà atteint.
Tous ces éléments évoqués, qu'ils soient vocaux ou instrumentaux, s'unissent pour structurer et rendre plus étanche l'atmosphère propre à l'émission. A ce moment-là, ce qui se réalise dans cette même atmosphère, c'est la déstabilisation totale de l'ordre de notre monde harmonieux, avant qu'un « ordre neuf » soit établi: d'une part, c'est la dé-raison, opération réalisée avec l'éjaculation des mots ; de l'autre, la dé-liaison, renforcée dans l'improvisation d'un sillage sonore. A la fin de cette étape, aussi radicale qu'il peut être, est construit cet ordre neuf, dont une atmosphère tout hors de la vie.
Ce que déclare Artaud dans la polémique de l'époque est bien remarquable : « En finir avec le jugement de nos actes par le sort, et par une force dominante, cela signifie sa volonté de manière assez neuve, pour indiquer que l'ordre rythmique des choses et du sort des choses ont changé leur cours. ». Ainsi, nous pouvons rendre compte d'un nouveau monde, celui du délire authentique : sa cohérence se caractérise par le non-rythmique, son sort attaché à une liaison intrinsèque de cette atmosphère.
III. Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique
Je tombe, je tombe, je n'ai pas peur...
---Antonin Artaud
A la fin de ces deux étapes d'incohésion, ce monde hétérogène a été bien établi et cimenté. Ce n'est cependant pas l'achèvement de l'acte d'Artaud le poète malsain, le Momo, le sorcier, quel que soit le titre. Mais l'un des titres que les chapelles lui ont conférés dans les journaux à l'époque, celui de « la nouvelle messie », demeure assez inspirant à nos yeux et nous aide à avancer davantage dans notre recherche des processus hétérologiques : en dépit d'une conscience totale, nous pouvons ressentir que l'émission que réalise Artaud concerne une cérémonie religieuse, à un sacrifice rituel. Là donc, il n'y a pas seulement l'incohésion à rendre compte dans l'émission, nous avons besoin de commuter au segment prochain, celui de la totémisation.
Avant le diagnostic de ce processus, il est bon de rectifier ce que l'on définit comme Totem, notion au centre de notre recherche dans cette partie : c'est quelquechose qui est exclue à l'intérieur, écartée dans un coin. A la différence de la prise de position de l'incohérent qui s'identifie à une tangente à côté, le totèm n'est pas ailleurs, il est là, parmi nous.
A partir de cette définition, on peut en citer plusieurs exemples de l'opération de totémisation. En fait, Artaud joue avec la notion du totem dans l'émission, il joue d'ailleurs par étapes, en faveur de sa rupture avec Dieu: il a d'abord dénoncé « la fécondation artificielle », devenue le totem des armées américaines et plus généralement celui de l'homme civilisé et sur-excellent. Un totem qui incarne la toute-puissance des spermes et des produits synthétiques par rapport à l'être, qui marque le début de l'époque post-industrielle où l'homme commence à se dés-humaniser avec l'hégémonie de la technologie.
Ensuite, pendant sa bénédiction d'un monde de déchet humain, il a totemisé la merde, le caca, propres à l'être humain et pourtant négligé et exclu à l'intérieur de l'homme, ce qui renvoie de nouveau au problème de l'être, ainsi défiant le pouvoir de Dieu :
Là où ça sent la merde, ça sent l'être ; l'homme aurait très bien pu ne pas chier, ne pas ouvrir la poche anale, et il a choisi de chier, comme il a choisi de vivre...C'est que pour ne pas faire caca, il lui aurait concentir à ne pas être, mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être, c'est-à-dire à mourir vivant ; il y a dans l'être quelque chose qui est particulièrement tentant pour l'homme, et ce quelque chose est justement, le CACA !
Ces petits consignes de totem que l'on vient de récupérer visent à se mettre à l'opposion de Dieu, mais là n'est pas encore le coup majeur qu'Artaud a su donner dans l'é-mission, au sens original du mot. La véritable puissance chez Artaud réside en ce qu'il se fait témoigner, et plus encore, se témoigne. Sur cela, ce que dit Roger Vitrac de l'auteur demeure éclairant : « un mage d'une magie dont il est à la fois le sujet et l'objet. »
D'abord le côté objectif. Visiblement dans la danse de Tutuguri , il fait témoigner aux auditeurs ces étranges de rites chez le peuple mexicain (l'homme qui mange le cheval, l'opuntia, la terre où ils vivent, etc. ), et plus loin, dans la Conclusion, impose la scène de l'émasculation de Dieu :
Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organe, alors vous l'aurez délibéré, et le rendu à sa véritable et immortelle liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l'envers...cet envers sera son véritable endroit.
Ces deux scènes mettent l'auditeur à la place du témoin, au sens original, c'est-à-dire rituel ; l'une comme l'autre nous aidera à comprendre l'essentiel dans un tel sacrifice : une fois que l'énergie du totem-victime est libérée, le sacré est atteint.
Voyons maintenant le côté subjectif de cette « magie », qui constitue le point-clé dans toute la réalisation de l'émission, et dont la compréhension nous proposerea un déclic dans une telle recherche hétérologique. C'est que le poète se fait le Bouc Emissaire, un victime qui survit. Il s'agit de là de ce que Deleuze appelle l'automatie spirituelle , au niveau radical. L'énergie d'Artaud l'émissaire se libère quand il « s'abandonne dans la férocité humaine », avant même d'atteindre le délire total, conséquence nécessaire pour compléter une cérémonie sacrificielle. Ce statut de l'autre moi qui me regarde souffrir s'entrevoit dans ces paroles suivantes :
[...] Mais il y a une chose qui est quelquechose, une seule chose qui soit quelquechose et que je sens, parce que ça va sortir ! [...] Il y a un coin où je me vois en train de dire non, quand on me presse, que je suis suffoqué.
De cet auto-sacrifice, Artaud se met dans un double rôle de sorcier-victime, celui-ci incarné à l'intérieur, alors que les auditeurs restent stupéfaits devant ce choc, ne sachant réagir ni réfléchir puisque impuissants, comparable à la place du témoin dans un sacrifice rituel proprement-dit.
C'est alors que s'achève complètement la malédiction gratuite d'Artaud. Devant tout ce spectacle, aussi effrayant qu'il peut être, nous ne pourrions rien réagir que de dire « n'importe quoi, quoi ». Avec un tel acte qui échappe à notre capacité de juger, Artaud s'est désormais crucifié dans le coin quelque part dans son émission, à l'intérieur de laquelle s'ouvre un gouffre béant.
CONCLUSION
La réalité hétérogène est celle de la force et du choc. Elle se présente comme une charge.
--Georges Bataille
Parmi les cinq processus hétérologiques, la segmentation d'incohésion, marquée par l'incongruité vue de l'extérieur et le bien-structuré dans son global, est propre au champ de la création artistique. Or tous les oeuvres d'art ne sauront incarner cette position à la fois délicate et complexe. Antonin Artaud y est parvenu, à travers son émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu. Il y est parvenu de façon tellement radicale que l'effet même de choquer et de frapper le système sensoriel des auditeurs devra retourner vers lui-même.
On peut résumer cet acte comme une représentation de l'irrationalité concrète, qui agace constamment notre sensation. Le concret de l'impureté en premier : il impose pour démontrer au monde civilisé la souillure, la saleté ; il joue avec la puissance de l'impur, comme dit Bataille, qui a le même effet que le sacré et qui sert de fond à la purification d'une croyance adaptée. Cette purification s' effectue et devient « prometteuse » dans le processus qui suit, caractérisé par l'irrationnalité, le délire à l'extrème, en faveur d'une dérivation de l'ordre conventionnel.
C'est dans une telle atmosphère que cet acte devient un sacrifice, dans lequel Artaud joue le sorcier, jète les sorts les plus violents, y compris celui sur lui-même. A ce temps-là on est déjà au-delà de l'incohésion pour rejoindre la segmentation prochaine, celle de la totémisation, puisqu'Artaud devrait provoquer, à part l'auto-témoignage, le témoignage chez les auditeurs.
Néanmoins, ce n'a pas été fait. Une telle cérémonie n'a pas été complete. Cette plénitude est rompue brusquement avec la censure de l'émission à la veille de la diffusion, ce qui détourne à la fois l'essentiel et l'intention de la création de l'auteur. On peut dire dans ce sens que ce n'est encore pas un totem, mais un quasi-totem qu' Artaud a façonné, car un auditeur d'un disque n'est plus pareil que celui d'une émission radiophonique en direct, qui enchaînera une réaction imédiate et non préparée. La réalité est qu'Artaud est mort peu de temps après cette censure. Sur cela, on prend le risque ici de dire que l'auteur est presque condamné à mourir : vue que le sacrifice émissif n'a pas été fait, la mort du sorcier devra rendre l'auteur un véritable totem et ce n'est qu'ainsi que l'émission, la malédiction se verra complètes et feront force à l'infini.
A partir de cette émission qui est devenue un chant funèbre de quelque sorte, il est bon aussi de réfléchir sur la relation entre ces différentes segmentations dans le processus hétérologique qui s'ensuivent. Il est à noter que la radicalité qu'a pris Artaud dans l'é-mission pour effectuer l'éjaculation des mots n'est déjà pas loin du fait d'un transit de décharge, soulignée dans la segmentatino qui précède, celle de l'excrépulsion.
D'autre part, entre l'incohésion et la totémisation, segmentations qui ont plus de lien avec notre recherche, nous supposons que, si l'incohésion est un parcours inhérent à l'acte de création, la totémisation concerne alors le monde qui se met en face, celui de la réception. Dans de telles créations se trouvent les éléments hétérogènes, dont nous sommes familiers et qui ne sont pourtant pas propres à nous, et le Tout constitué de ces derniers va nous envoûter, nous influencer pour nous faire évoluer.
Le déclic à travers cette recherche reste donc à ce que le processus hétérologique, comme impliqué les noms même des processus, constitue en une « -tion ». L'hétérologie est de fond une mise-en-mouvement. C'est avant tout un mouvement qui se charge à dépasser le monde de la dichotomie, à pointiller la ligne de démarcation conventionnelle avant d'atteindre un espace d'au-delà ; c'est en même temps une interaction, plutôt voisine, entre les différentes segmentations, en faveur d'un renouvellement non pas de la connaissance, mais de la cognition. Ce mouvement étant à l'infini, nous ne cherchons pas à définir ni son sens ni sa finalité, comme nous ne l'avons pas fait vis-à-vis de l'émission d'Antonin Artaud, mais nous nous efforçons d'y penser et d'y traverser.
BIBLIOGRAPHIE
(...)
Composition du CD Pour en Finir avec le Jugement de Dieu:
-Revue de Presse janvier et février 1948.
-Radio 1948 : Avec les voix de Roger Blin, Maria Casarès, Paule Thévenin et Antonin Artaud. Présentation par Roger Vitrac
1 Texte d'ouverture
2 Bruitage
3 Danse du Tutuguri
4 Bruitage, xylophonie
5 La recherche de la fécalité
6 Bruitage et battement entre Roger Blin et moi
7 La question se pose de...
8 Bruitage et mon cri dans l'escalier
9 Conclusion
10 Bruitage final