Ulysse : (...)Voilà notre secret !...la preuve te suffit ? Je voudrais donc savoir, femme, si notre lit est tjrs en sa place ou si, pour le tirer ailleurs, on a coupé le tronc de l’olivier.
La plus sage des femmes, Pénélope, sentait se dérober ses genoux et son coeur ; elle avait reconnu les signes évidents que lui donnait Ulysse ; pleurant et s’élançant vers lui et lui jetant les bras autour du cou et le baisant au front, son Ulysse, elle dit : Ulysse, excuse-moi !...tjrs je t’ai connu le plus sage des hommes ! Nous comblant de chargrin, les dieux n’ont pas voulu nous laisser l’un à l’autre à jouir du bel âge et parvenir ensemble au seuil de la vieillesse !...Mais aujourd’hui, pardonne et sois sans amertume si, du premier abord, je ne t’ai pas fêté !(...)
* * *
Je veux dire que, souvent, je me sens presque amoureuse avec lui. Presque, car j’ignore ce que c’est, ce sentiment, si loin si proche ; car je me sens tantôt Pénélope, tantôt Calypso, tantôt Ulysse lui-même, ou bien, peut-être, l’Aktoris, seule chambrière qui gardait l’entrée de leur chambre aux épaisses murailles. J’ignore s’il existe un dieu des voyageurs, mais ce devrait être lui.
Pour moi, c’est lui le dieu des voyageurs.
Mais pourquoi donc, le combat ? Vous alliez dire que c’est déjà écrit là-haut?
...Sans doute.
« Vous avez le choix : Ulysse ou le Cyclope. Vous choisissez Ulysse. Au péril de votre vie, après dix années de combats, vous avez pris la ville de Troie. C’est votre surnom : « preneur de Troie ». Sur le chemin du retour, vous avez perdu nombre de vos compagnons. Les uns, le Cyclope les a engloutis. Les autres se sont noyés. Ils ont mangé les Vaches du Soleil, en dépit de vos recommandations. Ils ont goûté à des fruits étranges qui procurent l’oubli. Ils ont fait l’expérience de vivre en cochons. Mais vous, Ulysse, vous avez dû lutter. »
(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)
* * *
J’apprécie ce programme Mundus, ou plutôt ce cursus nommé Crossways in Europeen Humanities. Je l’apprécie de plus en plus, malgré ses balbutiements de l’année dernière, et je me réjouis à constater sa mise-en-route de cette rentrée. Dans un séminaire sur l’hétérogénéité de la poétique d’Ezra Pound, devant moi, ce sont ces jeunes gens d’une identité complexe, comme la mienne, une Philippine catholique dont une partie anglaise, une partie française et espagnole, un Canadien d’origine italienne grandi en trois langues, une journaliste mexicaine qui connaît mieux que les jeunes locaux la métamorphose de Dionysos. Les religieux indiens d’un esprit scientifique. Ces admirables voyageurs de lettres.
Et Ezra Pound. Pound a fait l’allusion, dans le premier Canto de sa poésie de vortex, à Ulyssee qui était allé consulter Tiresias. Il a la même question à poser pour le genre humain d’après 1914 : COMMENT RENTRER CHEZ LUI. Moi la Mundus, je pose aussi cette question, je la pose de manière d’un écrivain: l’écrivain, ce n’est que celui qui ne sait écrire et qui a la conviction de persister dans son écriture pour savoir comment écrire.
« Vous avez percé l’oeil du cyclope, le fils de Poseidon. Vous n’aviez pas le choix. De là vient l’acharnement de Poseidon à vous nuire. Pauvre Ulysse, incapable de profiter de l’immortalité toute proche que Calypso vous offre sur un plateau en or. Courage, les déesses vous protègent, et la terre n’est plus très loin !
Vous avez bientôt l’âge de Télémaque, celui d’Ulysse, puis celui de Laërte : déjà vous savez que votre vie s’est jouée quelque part entre Troie et Ithaque. »
(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)
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