Voici une journée pleine, la dernière journée de mes moins-de-25-ans. Avec Neige, j’ai arpenté Shanghai, sous le soleil pâle qui réchauffe par temps froid. A vrai dire, je ne peux guère prétendre guide. A chaque fois que je fais visiter Shanghai, ce sont les amis arrivant à Shanghai qui me font redécouvrir cette ville, visiter les endroits où je n’ai jamais mis mes pieds, revisiter mes lieux préférés où j’aime me promener seule et à mon rythme, essayer les trajets aléatoires que je n’ai pas pris auparavant.
Traverser le pont en comptant les neufs zigzags. C’est la première fois que j’entre dans le jardin Yuyuan, avec le souvenir que j’ai. A l’accès du jardin, je me rends compte d’un sentiment agréablement étrange. Ce jardin même, déjà, me paraît étrange : un Shanghaien des 1700s l’a construit pour plaîre à son père, avant que la famille n’ait connu le déclin. La piété filiale, le 孝(Xiao), est devenu la cause directe de la construction de cet unique jardin classique de la ville même, dans un quartier qui n’est classique qu’en apparence. Le jardin entier semble être quelquechose de transplanté, et pourtant il fait son Histoire.
J’ai toujours eu de la peine pour décrypter le sens des caractères calligraphiques, les signes symboliques de telles ou telles pierres ou de tels ou tels seuils. On suit librement les pistes qui nous mènent vers les différentes cours, vers les salles, les pavillons, les rocailles, l’étang, vers les couloirs à demi ouverts. Détour après détour, j’y perds le repère et du temps et de l’espace, et je ne peux rien faire avec les idées flottantes que de me laisser emmener ailleurs que là où je suis.
Les façades de Bergame me sont revenues à l’esprit. Les statues religieuses y sont souvent plus somptueuses que les gravures du Yuyuan, mais les deux sont réalisées avec autant de minutie et de raffinement. Les concepteurs du Pavillon France n’ont donc pas tort de rappeler que l’Europe et la Chine partagent la culture jardinière, l’conographique et l’idéographique devraient avoir plus ou moins les language en commun. Je reprends mon habitude et me contente de faire les travellings ralentis de la vue : les miniatures en haut des toits, les figures gravées sur les portes en bois, les courbes aériennes, les pics et les grottes.
A un autre moment, on cherche « la scène d’opéra ancienne» comme ce qu’est indiqué sur le panneau, tandis que l’on ne voit que les salles. Neige dit qu’hé alors, les anciens jouent l’opéra dans les salles ? Je dis que ce devrait être vers le fond de la cour, que ce serait les planches avec quatre pieds en bois.
Nous y sommes. Les planches, trop sobres pour être intégrées au climat du jardin, se sont retirées à la moitié sombre de la cour. Dès que je les ai vu, je me trouve de nouveau hantée par la mémoire. M’est survenue l’illusion d’une figure mince et petite, assise sur les planches et qui dessine.
C’étaient dans le bourg ancien de Fenghuang. Il pleuvait, il n’y avait personne dans la ruelle dallée. Je tombai sur une maison mémoriale dédiée à un ancien personnel, où j’avais connu pour la première fois les planches anciennes. C’était le vide qui s’imposait mais qui impliquait une beauté exceptionnelle. Personnes d’autres qu’un garçon, assis sur les planches, qui était en train de dessiner. Il me dit qu’il se préparait pour le concours d’entrée à une école de beaux arts l’année suivante. Je dis qu’alors on était au même âge. Je montai sur les planches pour le regarder dessiner. Lui me racontait des histoires de la maison et du bourg, de sa vie qui se résumait en quelques mots, de son rêve de devenir peintre. Sa voix était d’une douceur apaisante, comme venue de loin, mêlée du silence et des bruits de la pluie.
En me rappelant de cette scène, à l’autre moitié ensoleillée de la cour, je m’appuie contre le mur au-dessus duquel est construite la chambre dans laquelle les maîtres d’alors regardaient jouer l’opéra. Je repose longuement mes regards sur les planches anciennes où le temps s’immobilise : que je me fonde dans l’atmosphère de ce lieu intemporel, m’évapore sous les lumières d’hiver qui réchauffent. Je ne peux résister au charme de telles lumières, ni à celui de la paix qui a marqué la voix du garçon de Fenghuang et qui règne dans le jardin Yuyuan lors de notre visite.
Gauche: C'est une photo mal faite mais qui me plaît beaucoup. Les statues en miniature sur le toit sont devenues, sous l'effet contre-jour, les ombres en peau qui réalisent en quelques sortes une scène de théâtre: une percée d'inanité, dans laquelle le temps, comme le mouvement, se cristalise. (photo/Neige)
Droite: Détail d'un oiseau sur la fenêtre en bois (Source: Wiki-Gallerie)
7 commentaires:
ça me fait penser à Supervielle: "saisir le soir (...) et la statue, saisir l'ombre et le mur et le bout de la rue."
Statue chinoise en ombre chinoise, c'est très joli.
Merci de m'avoir fait découvrir Supervielle(quel drôle de nom, ô là là...)
A propos, sur la poésie, on définit comment un poème? ce sont décidément les choses comme Alexandrin? Parfois j'ai l'impression d'avoir écrit des choses qui ne sont ni poème ni parole d'une chanson par ex, mais c'est écrit comme ça, et je crois avoir été influencée par la rime dans la poésie classique chinoise.enfin...
Trés difficile de caractériser la poèsie, Delphine.
Les alexandrins, ou les autres formes rythmiques définies, sont à présent des choses dépassées, peu de poètes les utilisent encore, peu également utilisent encore la rime, il favorisent plutôt les consonnances.
La poèsie contemporaine n'obéit plus en réalité à aucune contrainte formelle, nul pourtant ne la confondrait avec de la prose.
On pourrait d'ailleurs mettre le règlement des Postes en alexandrins, ce ne serait pas de la poésie.
Merci Xiao-bob. Et, permettez-moi, ce qui distingue la poésie et la prose? (la longueur?? les mots contre les phrases?)Me faudrait faire une petite recherche pour que ce soit plus claire...
La poésie peut être définie par la recherche d'images au moyen des mots, d'un sens qui est au delà des mots.
elle se caractérise en général par des phrases courtes, des fragments de phrase plutôt.
Mais certains poètes utiliseront des phrases très longues.
Ce qui permet de distinguer la poésie serait en partie la nature de ce qu'elle exprime.
Pour ce qui est du nom de Supervielle, je pense qu'il s'agit d'un nom de lieu, un petit hameau qui aurait été situé plus haut que Vielle (plusieurs localités portent ce nom dans les Pyrénées françaises)
Le réglement postal mis en alexandrins, je ne sais pas si c'est un texte qui existe, mais le Code de la route en chansons populaires, c'est du Boris Vian.
[extrait]
7. Stationnement
Il est interdit de laisser
Abusivement
Un véhicule ou une bête
En stationnement
En stationn'ment sur la route
Qu'il ait des sabots dondaine oh oh oh
Ou qu'il ait des pneus ...
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