14/11/2007

Je suis pas contre, mais...

--Etrange chose que l’homme qui souffre veuille faire souffrir ce qu’il aime !
(Alfred de Musset, La confession d’un enfant du siècle)



ACTE I--La grève alors ? Bah...

C’était moins chaud qu’ailleurs mais ça a été bien chaud.
Je contemplais les slogans contre CPE sur le mur, j’attendais et j’attendais, je vois finalement de quoi ça ressemble une grève d’étudiant.
C’est donc ça, les slogans bien sûr, et les affiches : les affiches d’un portrait unique du bon communiste dont la lettre patriotique et émotionnelle de la Résistance circule dans les lycées et les collèges. Quelques peu d’étudiants distribuent les tracts : « Contre la loi de l’autonomie, rejoignez le PCF ! » En lisant cela, je ne peux m’empêcher de rire à la baudelairienne. J’avais l’intuition que l’Italie était la Chine de l’Europe au niveau de la vie et de l’idéologie, alors que l’exubérance de la démocratie hexagonale côtoyait le modèle de la tyrannie extrême-orientale. Ceci ne parait pas faux.

--Vous êtes contre quoi ?
--La loi de l’autonomie !
--Ca veut dire quoi ?
--Les entreprises vont donner de l’argent à l’université et ça va la commercialiser, on perdra la fac !
-- ?? Ca alors...


ACTE II-- Le CONTRE des enfants du XXIe Siècle

Vous avez dit que c’est un trucage législatif, que c’est le résultat d’un vote soi-disant démocratique qui se déroule en plein été, c’est-à-dire à la période des vacances scolaires où le milieu universitaire ne peut se rassembler pour s’y oppser. Vous avez relevé le défi et vous faites la même chose, vous attendez jusqu’à la rentrée des master 2 et du doctorat, c’est-à-dire la période où tout le monde se retrouve à la fac, pour vous initierez tous à se mobiliser.
Vous avez donné l’exemple des facs canadiennes, américaines, où les grandes marques font la colonisation dans le campus. Vous avez dit que si les entreprises vous donnent de l’argent ça va périr l’indépendance de l’éducation. Soit. Mais vous n’avez pas besoin d’un peu d’argent pour améliorer les conditions d’enseignement ? Les étudiants de licence professionnel du théâtre, par ex, n’ont-ils pas besoin de matériels audio-visuel pour voir les films de Passolini ? (Allez écouter son entretien d’ailleurs, il parlera des gauchistes conformistes.) Vous dites ça comme si moi, chinoise, je vous disais qu’il fallait pas faire la grève parce qu’il y aurait la répression. Vous avez la tradition de la raison, mais vous l’avez rejetée en vous identifiant aux américains. Vous faites pas confiance à vous-même ni à la présidence universitaire. Vous ne voulez rien que le contre.
Vous appelez à rejoindre le communisme. Et pourtant il me semble que vous ne le connaissez rien que sur la lettre de Guy Môquet. Vous avez de la chance pour vous civiliser à prix bas et avec bcp moins de stress par rapport à beaucoup autres pays dans le monde. Vous vous satisfaites pas. Vous allez lutter contre un risque qui existe dans vos hypothèses sans tenter la moindre des choses, et pour cette raison vous allez bloquer la fac, arrêter les cours, bref, faire la fête : n’est-ce pas, ici vous faites appel de la grève en tant que tradition pour quoi que ce soit chaque année ?
Vous vénérez la génération des 68, je vous comprends. Moi aussi. Mais regardez le film de Truffaut, regardez l’archive dans Baiser volé, eux ils se défendent. Vous, vous délirez de paranoïa dans le confort qu’on vous a offerts. Je me demande si une grève ne se fasse comme ça d’ailleurs, que vous ne vous trompez d’objet. Vous êtes les jeunes Truffauts contemporains qui barbouillent le concervatoire cinématographique. Vous aimez la fac et vous la faites souffrir. Vous brisez les fenêtres, et la somme que l’Etat vous a promise pour l’instant ne suffirait pas pour les repérer. Vous allez occuper les bâtiments d’enseignement au lieu d’aller devant ceux des services gouvernmentaux. Moi, en tant que chinoise, je vous propose un moyen efficace, mobilisez-vous plutôt pour vous asseoir devant la porte des services : vous avez un gouvernement démocratique qui ne vous exposerez pas le char. Mais vous prendrez pas la peine. Vous vous contentez de crier ensemble et vous ne saurez plus sur quoi vous criez.
Il vous a fallu « de temps et de lieux pour vous retrouver, vous organiser et penser ensemble », écrivez-vous sur l’affiche de mobilisation. Et bien je crois connaître ce qui résultera, ce « penser ensemble ». Alors bonne pensée.


ACTE III- Sans foi ni loi

On m’avait dit un jour que la France est bien hypocrite, elle prétend pays laïque mais elle autorise les vacances des fêtes religieuses, et ça suffit pas, elle fait le pont. Ainsi les facs à Paris prenaient les vacances de Toussaints, après lesquelles tous les jeunes saints s’agitaient.
C’était Sharad qui nous a informé en premier des manifestations à Paris : les vacances terminées, sa copine qui venait de rentrer l’avait dit qu’elle n’aurait pas de cours car son département des études asiatiques, son Science-Po, et les Sorbonnes, étaient en grève.
Ici dans le sud, seuls les collèges et les lycées ont les vacances de Toussaints. La semaine d’avant le jour de la Toussaint, les salles des amphis avaient été bloquées, les chaises entassées. Mais notre cours s’est déroulé quand même dans la salle régulière encore libre d’accès, malgré le tas des chaises.
Alors que le quartier latin brûlait de nouveau, une assemblée générale a eu lieu le même jour comme prévu, à un lieu de rencontre de la fac de Perpignan. Information, débat et vote pour le blocage de la fac. Le lendemain, l’annonce du président de la fac: la suspension de toutes activités pédagogiques, selon le résultat du vote.
N’empêche que nous avons eu la première séance sur Rousseau. On m’avait expliqué qu’après l’annonce du président, c’est au prof de prendre la responsabilité de son cours. Je m’enchante de l’indépendance de l’enseignement. Pourtant le soir, mes voisins Mundus me racontaient : « tu sais ce qui s’est passé avec notre cours de M. Girard? Il y avait un groupe des gens, en dehors de l’université, qui étaient venus bloquer la bibliothéque de la section pour que nous ne puissions avoir cours. On pense à aller ailleurs, un café par ex, et ils nous aivaient suivis pour nous agresser ! Heureusement ils ne comprenaient pas l’anglais, et nous avons pris RDV pour avoir cours au centre ville dans un bar ! »
C’est donc ça, ce qu’ils veulent, occupation de la fac, abrogation de la loi, perturbation de l’enseignement, bref, contre tout.
Il paraît qu’on appelle ça l’extrême-gauche.


ACTE IV- Salut, tu t’es mobilisé ?

Vivement Sarko, homme de politique de talent qui a été pas mal inspiré des manières pragmatiques, seul il est allé trop vite comme la Chine et il redistribue les grèves : Après les cheminots ? Les étudiants. Après les étudiants ? Les fonctionnaires. Après les fonctionnaires ? Et bien joyeux Noël !
Mais tout le monde ne fait pas n’importe quoi. L’université est suffisamment humaine pour que la bibliothèque reste ouverte. Cette semaine il y a un peu plus de monde et, curieusement, un peu moins de brouhaha. Les quelques collègues françaises des séminaires, les Mundus, disent la même chose : ça sert à quoi donc, la grève comme ça ? Rien. Si la loi d’un pays était sortie puis retirée aussi facilement, alors pitié pour le régime de la démocratie.
L’assemblée générale a été bonne pour s’informer, puis on reste calme. Puis encore, d’après ce que Alex la perpignanaise avait dit : « Chaque fois il y aura les débats infinis et chaque fois ce sont eux qui gagnent : au bout d’un moment, on se fatigue et on s’en va, ceux qui restent, les mobilisés, et bien ils votent. C’est ce qu’on appelle le vote démocratique. » Umm, on dirait qu’ils ont pas mal appris de leur autorité parentale, en très peu de temps.
Hier il y avait une réunion pour qu’on se mobilise à la manifestation d’aujourd’hui, c’était midi, je me repose sous le bon soleil d’automne et je vois quelques visages d’un air confus sortis de l’amphi, une fiche à la main. Cet air ne me paraît pas étranger.
Détrompez-vous donc, vous savez ce dont vous en pensez au moins ? Ou vous vous mobilisez juste comme ça ? Moi je vous propose encore une petite lecture, celle des infos des dénonciations des présidents universitaires sur les agents hors de l’université qui incitent les étudiants, celle d’une annonce toute fraîche du président de la fac : la grève n’a pas pour objectif de perturber l’ordre de la fac, garanti aussi par la loi, de bloquer la fac, il ne faut pas négliger l’indépendance de la présidence universitaire ; la grève est pour exiger une somme plus importante d’argent pour que l’aide aux universités prenne de vrais sens. Voilà. Vous avez bien appris à faire les synthèses. Au travail donc.

Prologue
Ce matin, il n’y a plus d’électricité dans la résidence. Voilà la vraie grève, me dis-je, donc tant pis pour le café, et il m’a fallut mettre des torchons sous le frigo pour éviter le petit déluge. Mais le Crous a été suffisamment humain pour qu’il y ait de l’eau chaude et qu’on prenne une douche avant d’aller à la manif au centre.
Une nouvelle assemblée générale est prévue à 15hrs, cette fois le président a bien pensé à la rendre plus démocratique et plus juste : Reprise des cours à l’Amphi 3, Continuation du blocage à l’Amphi 4. Invitation au vote.
Vivement la bibliothèque qui est tjrs ouverte. Moi je travaille. Je vais continuer ma correction sur Duras, lancer la recherche sur Rousseau l’autobiographe et la lecture sur la poétique d’altérité de Valéry : Regards sur le monde actuel...


N.B :
J’avais laissé ce texte après avoir les premières idées sur la grève, car j’ai bcp à lire avant de quitter ici, que ma tête m’avait fait la grève en déclenchant la migraine, et que mon français ne rattrape souvent pas mes idées. Mais puisque la situation m’a réchauffé la tête, voilà une miniature que j’essaie d’établir, un peu mal à l’aise certes, mais amusez-vous, ou opposez-moi.

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