16/10/2008

Pour un humanisme engagé—Rencontres avec Ai Xiaoming et Hu Jie

Comment dire quelques mots sur ce festival ? Comment parler de ces documentaires qui s’interrogent sur les grandes H de la Chine, qui bouleversent et émervent jusqu’aux larmes ?

De vendredi dernier jusqu’à lundi, j’ai assisté à la projection de plusieurs films documentaires des deux réalisateurs, Mme Ai Xiaoming et M. Hu Jie, l’une étant professeur de lettres chinoises, spécialisée dans les questions de la féminité à l’Université de Zhongshan(Ganton) ; l’autre, ancien journaliste qui a dû renoncer à son poste chez l’agence Xin Hua à cause de ses tournages. Si, dans les films projetés, Hu Jie a privilégié une vision historique en prenant le risque pour tourner les documentaires qui représentent une Histoire de la minorité des victimes subis des persécutions inhumaines à l’époque de la Révolution culturelle(Though I’m gone我虽死去) ou de la dissimulation délibérée des FAITS par l’autorité jusqu’à nos jours (In Search of Lin Zhao’s Soul 寻找林昭的灵魂), Ai Xiaoming penche sur les thèmes sensibles dans l’actualité et, munie de la caméra, se rend activiste et participe à la défense du droit de la minorité défavorisée des paysans.

Les films : In Search of Lin Zhao’s Soul, Though I’m gone

Sans doute grâce à sa formation en peinture, les images sont relativement mieux tournées dans les deux documentaires de Hu Jie. J’ai notamment été impressionnée par la coloration de la toile sur laquelle sont écrits les poèmes par Lin Zhao avec son sang : le rouge orangé qui donne le sentiment à la fois violent et épique. A part cela, Hu Jie a pris l’initiative de dessiner devant la caméra, selon la description d’un ami de Lin Zhao qui est allé la voir dans la prison au risque de sa peau, un portrait de l’héroïne dont le visage est enrobé de manière très sérrée afin d’empêcher que celle-là ne crie à haute voix les slogans contre le pouvoir : autour de la bouche, ça serre, alors au fur et à mesure, Hu Jie y ajoute de plus en plus d’ombre. Un processus asphyxiant, et résultat : il y a et il n’y a que les yeux qui brillent et qui respirent difficilement.

Mais là n’est pas la vraie question. Le documentaire, comme ce que disent les deux réalisateurs dans la discussion après la projection, est moins une recherche esthétique qu’un moyen d’observation, de témoignage, d’enregistrement de la société chinoise d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, à part cette histoire sur la figure presque monumentale de Lin Zhao, dont le dossier est toujours enfermé (probablement à Shanghai où elle a été fusillée) et qui semble demeurer un topic-tabou, dans Though I’m gone, l’époux de Bian Zhongyun, alors vice-présidente du lycée pour filles attaché à Bei Shi Da, remémore comment cette dernière a été frappée jusqu’à mort par ses étudiantEs aux premiers jours de la Révolution culturelle, ce qui fait un exemple négatif pour les gardes rouges : on peut désormais tuer et tuer les profs. L’Histoire en question n’est pas un nouveau sujet, mais l’intérêt est ceci que les scènes de la mer de la foule en rouge de l’époque sont systématiquement visualisées, et le slogan « Vivement l’horreur rouge ! » longuement fixé frappe l’oeil, de même que l’innocence et la bonne volonté écrites sur la majorité excitante qui retrouve leur force originelle et qui exerce une cruauté affirmée.

(A suivre. Vous trouverez les commentaires en détail sur le blog du cinéma chinois tenu par Brigitte Duzan)

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Dong Zhi Hong,

vous avez bien raison de communiquer sur les oeuvres projetées aux Voûtes. Les films mériteraient une plus ample diffusion, en contrepoint de Beijing 2008.

Permettez-moi simplement de vous suggérer que les paysans ne constituent pas (encore) une minorité en RPC : au demeurant, une bonne partie du développement économique se réalise grâce à leur(s) sacrifice(s).

Bien cordialement.

Delphine a dit…

Ah oui je me suis trompée en écrivant. Merci Alexandre de vos remarques.
En effet, les conditions des paysans (8/13de la population totale selon les statistiques en 2006) en Chine sont très défavorisées, et Ai Xiaoming part justement de l'intention de donner la parole aux paysans pour que leurs voix soient entendues.C'est bcp déjà, mais bien sûr, ça suffit pas.
Moi aussi je souhaite que ces films puissent être diffusés plus amplement et qu'ils donnent à réfléchir sur ces incidents et sur les solutions possibles aux gens qui s'intéressent à la Chine actuelle(notamment étudiants chinois, sinologues, journalistes, hommes du droit).

Cordialement à vous.

Anonyme a dit…

Chère Dong Zhi Hong,

un grand merci à vous aussi de vos précisions. Trop d’âneries circulent s’agissant de la Chine…

Quant aux chiffres (on sait au moins depuis F. Simiand qu’ils sont construits), lors d’un colloque international à Nanjing (ville qui m’est chère : j’espère que la ligne directe de la Lufthansa ne va pas importuner cette métropole jusque là assez protégée), des géographes se sont opposés sur la définition de la « ville ». Un expert chinois présentait l’agglomération de Chong Qing comme une ville, celle-ci étant alors une mégalopole de 40 millions d’âmes. Des occidentaux ont contesté…

Vous avez tout à fait raison de soutenir (et moi avec) Ai Xiaoming, mais bien sûr la question de la diffusion demeure. Sans compter que les « médailles » occidentales peuvent engendrer des effets pervers : on espère qu’ils seront évités pour Hu Jia, honoré par le Parlement européen et bien sûr connaissance de Ai Xiaoming.

La RPC, pour paraître « développée » (alors que la Chine n’a jamais été un pays sous-développé), a intérêt à minorer le nombre des paysans. Mutatis mutandis, la France fait de même, appelant « cadres » des « pupitreurs perfectionnés ».

Bien à vous.

Delphine a dit…

Bonjour Alexandre. Vous parlez du colloque de l’urbanisme qui a eu lieu récemment ? Je suis bien contente qu’ils ont choisi Nankin pour le colloque, je vous signale que j’y ai passé ma vie universitaire en Chine, que cette ville m’est chère aussi. Quant au développement de la ville, je crois que la modernisation de cette ville arrive tôt ou tard, ce qui est le cas pour beaucoup autres villes partout dans le monde, mais surtout pour cette Chine souvent pressée et ambitieuse. Expérons seulement que Nankin ne s’égare pas trop et fasse moins de bêtises...il serait bien qu’on développe en même temps la consicence pour la convervation des patrimoines.

Je suis convaincue que les médailles occidentales ne peuvent protéger administrativement les gens comme Hu Jia, les chinois sont suffisament pragmatiques pour distinguer les médailles réalistes et les médailles idéalistes : P. Mais en revanche le soutien moral de la communauté internationale devrait être très important tant pour Hu Jia, un cas radicalisé il est vrai, que pour ceux qui prennent le courage pour revendiquer leur droit de citoyen. Je crois aussi qu’il y a bien des progrès, non administratif car ça vient toujours lentement, mais plutôt idéologique ; qu’il y a des gens qui réfléchissent et agissent de différentes manières. La discussion avec les gens, surtout les amis chinois que j’ai connus grâce au festival, me fait croire que l’on peut toujours garder un bout d’espoir.

Concernant le problème des paysans, il me semble que littéralement, ils ne sont pas minorés, au contraires ; mais politiquement, ou s’agissant de l’application des politiques, les problèmes sont constants et je dois dire que je comprends peu de chose...

Bonne fin de semaine.

Anonyme a dit…

Chère Dong Zhi Hong,

tout à fait.

A Nanjing, j’y étais. Nanjing, la plus lettrée et Feng Shui des métropoles chinoises…

Puisse le Xuan Wu persister. Tant que le maire se contente d’un « lion » aux yeux de laser sur la Hunan Road (in English original)…

Quant à Hu Jia, lui-même n’est pas un radical (on l’a radicalisé, p-ê).

Je souhaite partager votre optimisme : hélas, que pensez-vous des applaudissments de la part du public qui émaillent le blockbuster nationaliste de Feng Xiaogang, Assembly…

Les paysans sont la chair à canon du développement économique.

En tout cas, comme je suis lié à l’actuel festival de cinéma chinois, n’hésitez pas à me dire si vous souhaitez être invitée.

Bien à vous.

Delphine a dit…

ahhhhh....Vous parlez du festival de cinéma chinois à Paris? Merci bcp pour la proposition, Alexandre. J'aimerais tant y aller, j'ai même pensé à rejoindre l'équipe organisatrice(à ce propos, pensez-vous que je pourrais bien faire qch à distance pour le festival?), mais je suis actuellement à Shanghai...quel dommage.Par contre je compte bien contribuer au Panorama(festival du ciné français)qui aura lieu printemps prochain. En tout cas, les crossways culturels, c'est bien mon truc.
Concernant "Assembly" de Feng Xiao Gang, malheureusement je n'ai pas encore eu d'occasion pour le voir, mais je peux déjà dire que je me méfie du nationalisme,j'en n'ai pas besoin pour exprimer mon sentiment pour la Chine. Je pense bien à écrire sur qq films chinois prochainement.
"on l'a radicalisé, p-ê". Humm, ça donne à réfléchir.
ô...je ne me crois pas optimiste,ce terme est un peu de trop pour moi. Perso, un bout d'espoir c'est juste pour continuer à vivre et éventuellement pour faire avancer des choses.

Anonyme a dit…

Chère Dong Zhi Hong,

vous avez bien de la chance d’être actuellement Shanghaïenne.

Je parlerai de votre offre de services.

En tout cas, ne croyez pas que j’oppose optimisme et pessimisme (ce serait trop long de lever la contraduction ici). Vous avez bien raison de conserver espoir. Sinon que faire et même pourquoi « faire »…

S’agissant de vos « crossways culturels », permettez-moi de vous recommandez un excellent ouvrage sur les « Ombres électriques » :

http://www.laprocure.com/livres/raymond-delambre/ombres-electriques-les-cinemas-chinois_9782204087766.html

Cet ouvrage ne souffre guère d’occidentalisme…

Amicalement.

Delphine a dit…

Vous avez tout à fait raison, l'optimisme et pessimisme pourraient bien s'alterner, s'entremêler, et ne sont pas simplement les opposés.

J'ai en effet pensé à faire un docto sur le cinéma, mais l'idée reste vague. je ne sais non plus vers où je me mènerai dans les 2-3 ans à venir.

Merci pour la recommendation du livre, je vais essayer de m'en procurer un.

Bien cordialement