28/10/2008

Pour un humanisme engagé—Rencontres avec Ai Xiaoming et Hu Jie(ii)

Les témoignages : Tai Shi Cun

Tai Shi Cun me semble moins un documentaire qu’un reportage journalistique. Ce qui impressionne, c’est que, depuis le début, une forte conscience du droit se constate chez les villageois qui veulent démissionner leur chef par les moyens judiciaires. Ils s’agitent en revendiquant leur droit de propriété de la terre, eux qui n’en peuvent rien face à la corruption administrative. J’en suis bien émue. J’avoue que moi, je connais peu de choses sur les feuilles qui indiquent les procédures administratifs pour cela. Après les pétitions, les occupations silentieuses dans le bureau du comptable des femmes et des vieux (par crainte que l’autorité ne manipule sur les comptes administratifs qui serviront de preuve, disent-ils) qui seraient mis en garde de vue et maltraités par les polices locaux, un suffrage direct a finalement eu lieu. « un cas typique du progrès de la démocratisation de la Chine », a ainsi commenté un journaliste d’une radio centrale avec un mandarin standard, dans son report-direct sur l’ambiance plutôt enjouée de l’occasion même du suffrage.

7 villageois ordinaires ont été élus, parmis eux, aucun des candidats recommandés par le gouvernement local. Triomphe de la démocratie directe, allait-on dire. Or les choses se transforment aussitôt en drame, lorsque les 7 élus ont disparus le lendemain de l’affichage du résultat du vote : ils auraient bien sûr subi les poings des puissants locaux, avant de jurer qu’ils renonceraient à leur nouveau statut administratif. Ni le journaliste qui parle un mandarin standard ni les médias locaux ne seront plus présents, un journaliste qui fait le reportage depuis le début est emmené sous les yeux des villageois, un avocat jeté dans la prison, devenu le bouc-missaire de tout l’événement. Sur scène, il ne reste qu’une caméra organe qui aurait tourner en gros plan les visages des militants et qui ferait des trucages d’un « émeute organisée par une minorité de rebelles à Tai Shi Cun contre l’intérêt de la majorité populaire » : sans prétention, en écoutant les premiers mots de cette définition, on saurait réciter l’information complète annoncée par le journal autoritaire du local.

Heureusement il y a une autre caméra hors-champ qui continue à tourner les images qui elles-mêmes commencent à s’agiter, alors que l’agitation des villageois se transforment en angoisse et en peur à force des jeux arrêt-délivrance du pouvoir local. Le silence règne. Les témoins renoncent à offrir les preuves aux deux avocats-conseil bénévoles. Un progrès sans suite.

La caméra accompagne depuis le début les deux avocats. Ce sont deux héros qui n’ont pas du tout l’air héros. Quel sang-froid devant la pression implicite et le danger qu’on peut imaginer. Surtout cette femme avocate qui devrait avoir une quarantaine, elle parle d’un ton soulageant et tout calme vis-à-vis des villageois angoissés et qui perdent leur sens. Personnellement, cette image fémine et protectrice me rappelle tout d’un coup la scène où ma mère parlait avec ses plaignants qui étaient aussi angoissés lorsque j’étais petite ; à elle qui m’a quittée il y a bientôt dix ans, j’aurais tant aimé demander sur ce dont elle pense de l’administration en général et de celle qu’elle avait connue. Comment justement garder constamment le sang-froid face aux réalités dramatiques ?

Le sang-froid ne se garde peut-être pas pour toujours, quand on vit vraiment dans une société. Vers la fin, les villageois s’interdisent de parler avec les deux avocats, à cause de l’entourage d’une dixaine d’inconnus. N’ayant pas pu entrer dans le village, les deux avocats qui se prètent à quitter ont été harcelés par quelques hommes qui les chassent en moto. L’angoisse intérieure s’aperçoit à travers les pas accélérés des deux avocats, qui ont su pourtant se maîtriser dans une telle situation. Appels aux secours inutiles, auxquels s’ajoute l’humour noir d’une voiture de police qui se casse lorsque les deux avocats s’en approchent : bonne fable du chat qui a peur des rats.

Menace de mort : les hommes arrêtent le taxi qu’ont finalement trouvé les deux avocats (et Ai Xiaoming) en brisant les vitrines. Ecran noir qui termine ce tournage, reste le remous qui bouleverse plus ou moins les spectateurs.


Les Testaments enregistrés: The Epic of Central Plains, Care and Love

Les deux films montrent et laissent raconter les patients VIH positifs ou atteints du SIDA, non à cause des relations sexuelles ni de l’injection des drogues, mais à cause de la transfusion sanguine dans les hôpitaux, cette troisième cause étant négliée délibérément dans la vulgarisation des connaissances sur SIDA de la région. Ces gens ont été isolés dans un village appelé désormais le village du SIDA, au Hebei, subissant la méfiance des « normaux », la perte des ressources de vie et la mort qui s’annonce au jour le jour.

A la différence de la présence de la violence dans Tai Shi Cun, ces deux films s’interrogent davantage sur la morale administrative et sur les problèmes sanitaires qui enlèvent le moindre sentiment de la sécurité des gens qui y vivent. Simple histoire de bonne face à garder et les scandales en chaîne à dissimuler par l’administration locale, ce qui conduit pourtant à un plus grand nombre des malades affectés, parmi lesquels les paysans pauvres qui ont dû survivre avec la vente du sang, devenue « donation récompensée du sang » sous le jeu socio-linguistique.

Dans le premier film, les victimes n’ont pas trouvé des moyens pour faire part du crime moral des hopitaux en question ou pour mettre en cause des politiques de l'Etat qui refuse l'aide internationale des ONG qui puissent fournir des médicaments plus efficaces contre la maladie ; les actes bénévoles qui font les enquêtes auprès des familles-victimes ont été empêchés et les pourvois rejetés. Dans le second, une certaine récompense ont été versée aux certaines familles victimes, sous l’effort des avocats et des membres familials des victimes qui parviennt à monter à Pékin pour le procès, malgré les entourages malveillants : apparemment, il s’agit d’un cas de contamination dans « l’hopital le plus connu(non nommé) » de la capitale.

Ce qui m’intéresse le plus à travers ces films, c’est quand même ce qui s’ensuite de ces dénonciations, qui ne choquent plus beaucoup de monde, tout comme l’affaire des producteurs laitiers de SanLu : y a-t-il eu l’amélioration de la qualité des produits sanitaires dans les hopitaux? Et l'amélioration de l’inspection sanitaire ?

La réponse de Ai Xiaoming à cette question est « plutôt oui ».

Une autre question qui se pose parmi les spectateurs : est-ce que ces oeuvres ont pu être projetées publiquement en Chine ?

Oui. Mais s’entend : publiquement ne veut pas dire officiellement ; pas question d’une projection dans les salles de cinéma si l’on a une moindre connaissance sur les politiques culturelles de notre pays. Mais circulation et projection libérales entre les amis, dans les campus, parmi les journalistes et les avocats, etc sont possibles. Puis, s’ajoute Mme Ai, « j’ai aussi offert quelques copies au Chef du Bureau sanitaire et au Chef du gouvernement local ». Applaudissement.

« --Pas de danger comme ça ? »

« On se radicalise pas. Seul ils touchent les topics sensibles ou taboux. Ces films ne sont pas contre le pouvoir mais un avertissement à notre système administratif et sanitaire, et un compte rendu du point de vue historique. Nous avons d’ailleurs pris la réserve pour couper les scènes les plus aberrantes de la part administrative : de leur garder un peu la face pour qu’ils puissent continuer à travailler et que nous puissions continuer à tourner et à vivre. »

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