11/10/2007

Roman Grec VS Hong Lou Meng ou Question de l’Affect (Réponse à Ben)

"...Je suis en train de lire Hong lou meng, le grand roman de Cao Xueqin. Sa lecture me passionne, je me réveille la nuit pour le lire. Je suis frappé par l'aspect completement romanesque du livre, au sens occidental du terme, alors qu'il appartient à une tradition culturelle entierement indépendante d influences du monde greco-romain. C'est donc que la forme romanesque devait s'imposer, dès qu'il s'agit d'écrire une histoire, qu'elle serait universelle? Que, sur ce point, l'histoire de la culture chinoise rejoint celle de la culture occidentale?" (Ben)

Comme vous le voyez, la filiation du roman classique de l’Orient est indépendante d’influences de celle de l’Occident. S’il existe une vision comparative, elle ferait largement recours à leurs circonstances respectives, c’est-à-dire dans leur propre système d’évolution. Il est vrai que les deux sortes de romans se ressemblent bcp sous forme romanesque, mais pour moi, c’est qu’il y a des questions qui se posent naturellement au niveau stylistique ( (par ex quand il s’agit d’un récit fictif, il serait naturel de penser où mettre le narrateur), comme Deleuze peut nommer une histoire naturelle du cinéma. Si l’on entre en détail, on peut constater une rencontre des deux cultures qui se dérivent en même temps.

D’abord concernant la volonté d’écrire, ou le besoin de s’exprimer, pour les auteurs du roman grec, c’est de garder un esprit de la démocratie qu’ils avaient vécue et qui n’existait plus, tandis que Cao Xueqin n’avait jamais connu la démocratie. C’est plutôt une chute vécue par les auteurs (comme événement déclencheur d’écriture même) qui semble analogue: chute d’un système démocratique sous l’Empire romain pour les grecs, chute de toute une filiation familiale impériale sous l’Empire de Qing en agonie, pour Cao Xueqin.

Quant à la fonction sociale, l’instruction du roman grec sur le bonheur, l’amour me fait penser curieusement au poème chinois, plus précisément le Shi Jing, évolué des chants populaires circulés parmi les agriculteurs pour la détente, là aussi ça concerne une classe sociale définie.Je vois ces deux littératures non pas en contrepoint mais se croisant. Dans le Shi Jing, on pourrait confronter par ex la partie d’éloges héroïques avec l’Epopée d’Homère(sens politique et historique d’une collectivité : d’unir et de rappeler), et la partie sur la vertu, comme vous l’avez marqué il y a longtemps, avec l’instruction sentimentale du roman grec : leurs histoires marquent une limpidité et une naïveté d’un goût archaïque.

Sur le plan esthétique enfin, le roman grec incarne la tradition rhétorique(thème de la scéance d’hier)et décrit un amour complété au bout des péripéties, pour garder un esprit libre d’individu contre le régime impérial ; mais le « contre » est tjrs dans le même ordre que ce dont il est contre (voire qu’ils se rejoignent finalement par nature..). Prenons un exemple dans la littérature chinoise, l’histoire d’un autre fameux roman classique Au bord de l’eau : ceux qui sont contre le régime impérial finissent par en crée un autre, un mini-royaume (c’est plus ou moins daoîste je crois..). Et pour Hong Lou Meng, outre que la vie dans le jardin Da Guan Yuan reflète les circonstances de la Cour d’alors, il y a une mise-en-primat du Qing (le sentiment, l’Affect) comme de la foi, et de telle façon Cao parvient à dépasser le système politique et atteindre un niveau plus élevé avec l’émancipation de l’Affect, force propre à la nature humaine, et d’où la grandeur de cette oeuvre, par rapport à d’autres classiques chinois reconnus. Je rappelle d’ailleurs le propos du prof d’un cours esthétique à l’Université de Nankin, qu’on trouvera le partage de qch de commun dans de différentes cultures à une échelle très haute de l’humanité : la foi au sens général, l’Affect, etc. Là en effet, les deux cultures peuvent se rejoindre l'une avec l'autre.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir pris la peine de me répondre de façon aussi approfondie. Il est vrai que Cao Xueqin le mérite bien. Je me demande s'il existe des études comparatives sur Hong Lou Meng et le roman occidental. Dans mon ignorance, j'ai l'impression que Cao Xueqin n'est peut-être pas completement étranger à la litterature occidentale, il fait parfois reference à l'Europe, ou par exemple à du tabac de Virginie que Jade Magique donne à priser à sa soubrette Nuée d'Azur pour se déboucher le nez alors qu'elle est enrhumée. A l'époque des Qing, la cour n'entretenait-elle pas des rapports assez proches avec l'Europe?
Sur le fond, vous avez sans doute raison, mais l'idée de votre prof d'esthetique me déçoit un peu: faut-il vraiment en referer à l'unité d'un genre humain, sous la diversité des cultures, pour expliquer la rencontre des romans européens et chinois? Je ne crois pas. Pour moi, la culture chinoise représente une possibilité completement "heterogene" de l'experience, et Hong Lou Meng m'ouvre un nouveau monde bien plus qu'il ne me permet de retrouver le mien. Un monde "rutilant", plein d'intelligence et de sensibilité, qui est pour moi celui de la Chine.

Delphine a dit…

Ah une étude comparative comme ça ça mérite un doctorat, peut-être plus. J’invente, je dirais que les sinologues français s’intéresseraient peut-être moins le côté esthétique du roman que l’allusion sociale qu’il avait faite. J’ai aucune idée si Cao connaissait la littérature occidentale, on peut supposer que Cao (ou son père, ou les lettrés distingués d’alors) avait entendu les missionnaires/ envoyés diplômatiques parler du Bible, du poèmes occidentaux, d’Homère, par ex.(comme échange, pour ceux qui voulaient apprendre par ex le Shiking.)
Les souverains de la Cour des Qing tardive(dont la famille de Cao) avaient en effet bcp de rapport avec l’Europe qui leur proposait l’opium, les cloches, les montres, les pierres précieuses, et apparamment la longue-vue...A Gu Gong (le Palais Impérial), dans la chambre de Ci Xi (la fameuse femme au pouvoir) sont exposés pleins de trucs exotiques chers et intéressants que lui avaient offerts les diplomates, et était réservé une pte scène pour qu’elle et ses invités puissent apprécier un mini spectacle de violon.
Vous entendez dire par « l’unité »la mise-en-un ? Peut-être j’aurai dû dire « le commun/le partage » ?? Non c’est pas l’UN que je voulais dire et je crois qu’on est plutôt d’accord...Les deux cultures se croisent sans se croiser, elles « s’impressionnent », comme...urh...une ligne à la surface droite d’un cube, et une autre ligne, non parallèle, à la surface gauche. Dans les Stèles, Ségalen paraît imprégné de la chinoiserie, mais il a fait un ruse obscur, il regarde l’autre (la Chine) et tout ce qu’il voit renvoit à soi (l’Occident). Et c’est l’exotisme, le voyage pour lui, c’est au fond la quête de soi-même( une sorte de miroir?).

Anonyme a dit…

Encore une question: vous parlez d'une "mise-en-primat de la foi et de l'affect" à propos de Hong Lou Meng. Pour l'affect, le sentiment, je crois bien voir ce que vous voulez dire, même si la domination du sentiment que subissent Jade Magique et sa cousine Lin peuvent être équilibrés par la souveraineté de l'intelligence et du rire que represente pour moi la Grande soeur Phenix. Mais pour la foi, cela me paraît moins clair. Parlez-vous des rituels ( les offrandes de sapeques de papier, les visites aux monastéres bouddhistes ) que pratiquent les personnages à tout bout de champ, ou d'une sorte de leçon de morale bouddhiste que ferait le roman? On pourrait au contraire avoir l'impression que toute croyance religieuse est completement absente: le roman parle bien de rituels, mais pas vraiment, me semble-t-il, d'une veritable "foi".

Delphine a dit…

Urh..j’ai voulu dire un affect à la hauteur de la croyance, la conviction, ou autrement dit l’affect comme remplaçant de la foi au sens religieux. Il prend force pour résister à toutes sortes de misère, de vicissitudes, et ce serait en croyant ou en appuyant sur cette force que Cao a pu parvenir à cette écriture. La croyance religieuse n’est pas completement absente, comme vous avez évoqué la morale bouddhiste(qui est pour moi une compassion/pitié universelle) chez l’auteur. Mais je dirais que Cao va plus loin que le bouddhisme au sens religieux, il le dépasse. Le monde où il vit est réel pour qu’il l’observe et le met en oeuvre, ce n’est pas le néant.
A propos, j’ai compris vaguement d’où vient la sentimentalité et la narrativité de l’oeuvre de Cao. Il me semble qu’il est moins influencé par les oeuvres occidentales que les oeuvres littéraires des époques précédantes, pendant les premiers échanges sino-occidentaux, alors que les Jésuites emportaient les sciences humaines chinoises, ce sont l’ astronomie, les mathématiques que la Chine avait appris notamment de ces derniers. Les oeuvres qui auraient influencé Cao devraient être influencé des poèmes et vers des Song(Su Shi politico-moral, mais aussi Li Qingzhao, Lu You,etc), les opéras des Yuan, les romans des Ming et des Qing...

Delphine a dit…

J'ai trouvé ce texte, très intéressant pr moi, sur l'émotion et sagesse de la Chine ancienne d'Anne Cheng: http://www.afec-en-ligne.org/IMG/pdf/18-1.Cheng.pdf