31/05/2009

Oggi Oggi, vediamo l'ultima scena: la visite du jardin du Roi Gong


C'était un jour de grand soleil et ma cousine en déplacement à Pékin est venue me voir.

Depuis que j'ai fait deux fois Yuyuan à Shanghai depuis mon retour en Chine, j'ai compris que pour toutes visites des lieux touristiques il serait bien d'attendre les amis qui arrivent d'ailleurs et avec qui je pourrais visiter et revisiter un même endroit sans une vision pareille.

J'ai ainsi eu l'occasion d'aller à ce fameux jardin du Roi Gong 恭王府, autrement dit celui de M. HE Shen和珅, connu comme haut fonctionnaire corrompu et gâté auprès de l'Empereur QianLong乾隆帝 (me semble qu'il s'agit bien de QianLong).

C'était un après-midi de la semaine et il y avait quand même énormement de touristes, c'était horrible car nous marchions comme si nous étions en train de chercher un refuge . Les gens suivent sagement leur guide du groupe pour écouter l'explication des historiettes, que ma cousine et moi écoutent en feignant de contempler un pavillon ou le dessin sur les fenêtres : lorsqu'on a la patience d'écouter toutes les historiettes, bien sûr, parce que les mots d'explication sont très longs et parfois idiots: "voyez cette fausse montagne-là, voyez de quoi elle ressemble? ... là-bas il y a une grotte et tout à l'heure, voyez, là où il y a de la queue, donc tout à l'heure vous allez faire la queue là bas, vous allez toucher une pierre au fond de la grotte parce qu'on dit que ça vous portera du bonheur. " Et ce n'est qu'un variant inventif des mots touristiques.

Autre chose que je peux à peine supporter, c'est que les guides parlent toutes, et éventuellement tous, de la fortune. Comment HE Shen(和珅)a t il pu plaire à l'Empereur, par quels hasards et comment il a consommé ses argents, pour faire construire telle ou telle cour et chambre qui égaleraient une décoration que seul les empereurs méritent et "qu'aujourd'hui il n'en reste qu'ici à Pékin" (un arc du mur du jardin, me paraît-il).

Moi qui me crois innocente de l'Histoire de la Chine dans les détails, je ne sais, après avoir vu quelques épisodes de séries-télés, que c'est un officiel très gros et gourmand et qui est pourtant très éloquent. Il menait souvent des débats avec un autre officiel qui s'appelle Ji Xiaolan, légèrement moins gâté que lui, devant l'empereur. Ma cousine me dit qu'au fait, He Shen n'était pas aussi gros comme ce qu'on dit et il était beau, qu'il a été découvert par l'Empereur par pur hasard dans une affaire de rien. Le mot "corruption" est un crime assez grave et pourtant récurrent dans les milieux administratifs en Chine comme partout, ma cousine a dit que cependant, ce sont parfois les cadeaux qu'il n'a su refuser et ça partait de la bienveillance.

En effet, là, c'est une particularité chinoise. En Chine on a la tradition de s'offrir les cadeaux, par fois juste pour exprimer le sentiment d'amitié et quelque chose de plus avec ce geste, mais une fois que la personne perd le pouvoir dans son milieu, il serait accusé de corruption d'une vitesse étonnante. Est-ce vraiment only le problème de HeShen ou celui de la société dans laquelle il vit? Là, on pose une grande question mark.

On ne peut rien savoir de plus. Enfin pas moi parce que j'avais la tête gonflée devant les touristes dont les épaules se frôlent. Il y avait un très beau moment où ma cousine et moi trouvaient un endroit relativement calme pour parler un peu de nos propres histoires sentimentales. C'était sur un bateau en pierre au lieu de l'eau. C'était miraculeusement calme car les gens qui visitent ne prennent pas le risque d'aller sur ce paumé d'endroit qui risque de s'effrondre d'un moment à l'autre. Elle me dit que He Shen commandait tout. Il a voulu construire un pavillon, et donc il y a eu un pavillon, il a voulu ce bateau en pierre, et donc c'est fait. Bref, il a tout eu. En l'écoutant je rigolais. Je lui récitais ceci: "He Shen dit, qu'il y ait du vent, et ce fut ainsi; He Shen dit, qu'il y ait de l'eau, et ce fut ainsi. (和珅说,要有风,于是就有了风;和珅说,要有水,于是就有了水……). " Je demande à ma cousine, je dis ces phrases, sais tu de qui c'est, elle rit et me demanda, de qui c'est? Je dis aucune idée. Mais non, je rigolais. J'ai dit que c'était de la Bible, dans les premières lignes.

Qui a dit qu'en Chine on n'a pas de religion??



NB: c'est incroyable, j'ai trouvé par hasard sur Internet qu'il existait un film qui portait exactement le même nom ("l'Ultima scena"). C'est sûr qu'il y ait qch sous ma peau...



30/05/2009

Dans La Boîte

Ca fait rire, ça fait pleurer, ça fait rire aux larmes.
Ce n'est pas une pièce parfaite mais une pièce bien faite.

Ca me rappelle les guignols que j'ai vu dans le quartier du vieux Lyon, la scène de guignol au ¨Parc de la Tête d'or, le regret de ne pas avoir vu le spectacle de guignols à Lyon, et le film de Pasolini Che cosa sono le nuvole (Qu'est-ce que les nuages?). La chanson à la fin du film était super, mais je ne me souviens pas du titre de la chanson. Mais je me souviens du plan ultime, si ma mémoire est bonne: le joueur de marionettes jettent la marionette féminine et la marionette masculine (dont les ficelles sont tirées par Pasolini en personne en haut de la scène) aux ordures près d'une poubelle au bord de la rue, les laissant regarder le ciel bleu, et il n'y a que ça à regarder. Corps contre corps, yeux grands ouverts et visage souriant, la fille dit, ma guardai, che belle le nuvole...l'homme: è vero... ma che cosa sono le nuvole? la fille: E...ma che cosa sono le nuvole?... Puis, fin du film.

Parlons de La Boîte, pièce théâtrale présentée dans le cadre du festival Croisements 09'. Comment parler de cette pièce qui n'a rien de surprenant? La coopération entre les guignols lyonnais et les marionnettes taiwanais n'est pas surprenante, le fait que les acteurs des deux cultures qui ne connaissent pas la langue de l'autre et qui peuvent cependant se comprendre par hasard n'est pas surprenant. L'amour à distance et entre deux personnes qui supportent leurs différences n'est pas surprenant. Les "aventures trépidantes" ne sont pas surprenantes. Le retrouvaille n'est pas surprenant.

Ce qui me surprend, c'est le fait que les guignols, aussi drôles que leur apparence, semblent être réduits par rapport à ce que j'avais vu dans les vitrines du vieux quartier lyonnais, que l'incapacité de la communication linguistique plus l'élan naturel et bienveillant plus le malentendu créent dans l'ensemble un effet loufoque de merveille. Je reprends quelques mots dans la pièce: A Ji (阿基)est le nom du garçon taiwanais, devenu A Ki en français. Marie, fille lyonnaise reste Ma-ri/li en mandarin. Lorsque l'un des joueurs de marionette taiwanaise reste cloué dans sa boîte d'outil dans lequel il met ses marionettes, il demande à son homologue français de lui donner un coup de main en criant: La-Yi-Ba!(拉一把), "tire-moi un coup (pour que je sorte debout)", pour traduire mot à mot sans savoir si c'est bon ou pas; son homologue lui rit chaleureusement en répondant: Ah?? ...Ah!! Lai-Ba!(来吧!), "Come on!". Et puis, les goulougoulougoulougoulou...(咕噜咕噜咕噜咕噜咕噜...)veut dire: boire / boire dans un bar.

La scène se joue en trois registres: l'image de la projection en premier, car en déscendant les rideaux blancs la grosse cube divisée en plusieurs mini-scènes de marionettes est devenue un écran dimensionnel sur lequel les vies de l'est et de l'ouest sont vu côte à côte lorsque le cube tourne : mon billet que m'a vendu un boeuf jaune (mascotte de l'année deux mille neuf, rappelez-vous, et j'avoue que c'est la première fois que j'essaie d'acheter un billet de manière irrégulière, j'ai même oublié de négocier le prix!! ) m'a placée sur le côté ouest, ce qui est très logique pour ma découverte de l'exotisme. Ensuite, l'image des marionettes. Les guignols lyonnais savent sauter haut et fort en s'affolant et laissent tomber tout ce qu'ils ont dans la main: un balai, un pot de miel (que le guignol introducteur a défendu acharnement contre les ours avant de tout vider en disant: je vais dire que c'est vous qui l'avez mangé!!), et puis un immense soutien-gorge en cotton, tombé de la main de Marie qui ramasse ses vêtements sur la terrasse, et ramassé par A Ki (qui essayais de montrer à son père qu'il a trouvé deux bonnets liés) et retourné par le père d'A Ki au père de Marie qui dit: Ah oui, c'est pas celui de Marie mais celui de la marionnette de Marie!! Enfin, à partir d'un certain moment, les acteurs entrent à l'intérieur de la boîte en cube, la lumière éclairant faiblement leur figure, leur silhouette laisse dégager une sorte de solitude touchante même si les personnages sont dedans en train de mener un dialogue.

Le maître de la troupe taiwanaise apprend parfois l'art de marionette à ses disciples comme à ses amis étrangers. A ses disciples chinois il dit, pour jouer une scène de combat genre opéra de pékin, il faut bouger...il faut bouger pour montrer le mouvement et en donner vie. Et il faut répéter, répéter jusqu'à ce que ça ressemble à un vrai combat. Et à ce moment-là on peut appeler de l'artisanat des doigts l'art de patrimoine culturel.

C'est parce que c'est vraiment les doigts qui fonctionnent et qui dansent, ce que montre les quelques images documentaires projetées sur l'écran de la boîte. Et le maître apprend ça à son homologue français, qui a vraiment les idées d'état second. C'est parce que, vue la difficulté de maîtrise de ce dernier, le maître lui propose de porter la marionette sur la main comme porter un gant et de descendre et lever et redescendre et relever la main à vitesse et dans l'air, afin de donner vie à la marionette. Le joueur français essaie de suivre le conseil tout en faisant le mouvement avec la main droite portant la marionette en l'appuyant sur le dessus de sa main gauche: ce que le maître n'a pas demandé. Et voilà l'un des essentiels du malentendu orient-occident: lorsqu'un maître d'art oriental parle sérieusement de la maîtrise de l'art traditionnel, le joueur français pense tout de suite au sexe. Et pour une fois lorsque je parlais de la pluie et du beau temps, par exemple, et de la danse, on m'a fait croire que j'étais aussi en train de parler du sexe. Donc depuis, j'ai cru qu'en parlant de la pluie et du beau temps ou de la danse, je parle du sexe. C'est vraiment de la magie.

Vers la fin du spectacle, la boîte en couleur tourne et tourne, apparaît là-dessus le sourire de la tête de Bouddha. Ca m'a surpris aussi, ça. Voici donc encore une leçon de la vacuité, la fatalité, le nirvana? Sans doute.

Et c'est à ce moment que toutes les deux troupes courrent ensemble vers le devant de la scène en manifestant leur joie. Le retrouvaille est gravement symbolisé, ce qui m'a été une autre surprise, comme les dites "aventures trépidantes" ont été symbolisées. Je pourrais écrire des choses plus trépidantes que ça. Croyez-le ou le croyez pas.

Les deux troupes parlent toutes les deux leur propre langue, ou presque. Il y avait juste un bref moment de sous-titrage. Quelques spectateurs sont partis au milieu du spectacle, la plupart est restée jusqu'à la fin. Je me suis demandée comment les Français qui ne connaissent pas le chinois et les Chinois qui ne connaissent pas le français vont penser de ce spectacle dont ils ne comprennent que la partie homogène.

Je me suis souvenue tout d'un coup le moment où je prenais le bus en Italie: dans le bus qui monte à la Citta Alta bergamasque, les passagers locaux étaient parfois bavards comme les pies, avec une langue tellement musicale que j'ignorais (et que j'ai considéré ainsi comme de la musique pure sans parole).

Ce plaisir de l'inconnu, j'en ai largement perdu, notamment celui entre la langue chinoise et la langue française. Et c'est un peu la mélancolie de la traductrice.



Pour info:

- présentation sur la pièce théâtrale La Boîte: Cliquez ICI
- je suis encore vivante mais j'ai été terrible ces deux jours. J'ai ri toute seule dans la rue, je me suis trompée de sens du bus que j'ai pris aujourd'hui, j'ai eu pendant quelques instant un petit orage sur mon visage.C'est hélas du temps vraiement bizarre et de l'anormalie vraiment complète.




Libellé: In Fabula, la Chineuse chine, Audio-visuel

24/05/2009

Un extrait

[...]
Il sait que dans le métier, on dit "faire des stars", mais il refuse tant qu'il peut d'intégrer des mots anglais dans la langue française. C'est avec le mot "parking" qu'il a du mal, il ne sait pas vraiment par quoi le remplacer celui-là, sans parler du "modeling", le métier de sa fille...Pour lui, le modeling, c'est la traduction anglaise du modélisme, pas de faire poser des jeunes filles pour les magazines ou des marques d'eau minérale. [...]
- Je croyais qu'avec près de cent mille mots, le français était une des lanues les plus riches du monde... Pas étonnant qu'on ait perdu la guerre... On a décidément tout perdu alors... Avant, l'allemand, maintenant l'anglais... Mais pour en revenir aux Boches... il ne faut pas leur donner d'idées de grandeur, on sait ce qu'ils en font...
- Papa, la guerre est finie depuis longtemps, et on ne l'a pas perdue, qu'est-ce que tu racontes... [...] C'est normal qu'on emploie des termes anglais. Et puis, je croyais que tu disais "savon pour la tête", au lieux de shampoing?...
- Je sais ce que je dis... On n'a pas gagné la guerre, on est venu nous sauver, ce n'est pas pareil. Et puis, tes filles, là... elles n'ont petu-être pas d'idées de grandeur au début, mais quand on devient célèbre, ça s'attrape avec...Comme un vérus... [...]


Marie va s'asseoir sur le grand lit blanc recouvert d'une couette gonflée comme un ballon, [...]. une grosse boule de plume prête à s'envoler. Très accueilllante, confortable aussi. Gemütlich. La couette a traversé la guerre et, avec elle, la conception allemande du confort, la base du mode de vie allemand. Même pendant la guerre, les Allemands n'ont jamais abandonné leur couette, l'idée rassurante de la chaleur du nid, au moins une valeur sûre à laquelle se raccrocher.
Cette opiniâtreté dans le confort de vivre, cette certitude que les choses vous aiment, Marie aimerait bien avoir encore cette confiance-là. Allongée sur le lit de plumes, elle promène doucement ses mains sur le drap qui les emprisonne, en fermant les yeux. Laisse-toi aller, elle caresse maintenant l'éponge du peignoir blanc. La matière encore chaude évoque la douceur possible et proche. Et le calme aussi. Le calme. La tête de Marie va mieux, enfin. La brigade d'assaillants qui tenait son cerveau en otage a sérieusement lâché prise. On peut tout remettre à plus tard, même si le corps pour l'instant séparé de la tête est esquinté, comme roué de coups.
Marie balance doucement son corps sur le matelas et ferme les yeux, mais ses jambes sont en dehors du lit et ses pieds penchés frôlent la moquette épaisse. On ne sait jamais, elle pourrait prendre la décision de se lever tout de suite, elle ne veut pas s'installer dans la peur du souvenir de Jeanne. Elle ne doit pas. Il ne faut pas. Tiens, elle n'a plus mal nulle part.



Ci-dessus l'extrait (un peu long) du roman Tellement Belles. C'est un roman très léger d'apparence mais qui s'avère de plus en plus méditant lorsque certains topics y sont abordés. Je ne peux pas en dire grand chose en ce moment car je le découvre en traduisant. Mais je sens déjà le bonheur de faire cette traduction.


Aujourd'hui une scène de plus


- "Dégagez! Tous les businessmen étrangers ambulants, sortez de notre gîte pendant 1,5 mois s.v.p.
- Ah? C'est quoi, l'ambulant?
- Et bien si vous venez, puis vous sortez, puis vous revenez, puis resortez, puis rerevenez...donc vous etes ambulants. C'est clair? ...enfin si ce n'est pas clair, regardez votre Visa et c'est marqué! Avec un grand A!
- Ah oui...ah oui quoi...
- Donc voyez...préparez-vous...Et surtout ne comptez pas sur les cartes d'identité qu'on vous auriez jetées, ça ne servira à rien, nous, on est à l'âge numérique là!
- En effet, ici tout est moderne...
- Et en sortant, merci d'appuyer sur des boutons electro pour nous juger sur votre séjour chez nous : très content, assez content, bien content, content, pas content, pas terrible. (voix-off: et prenez précaution pour appuyer sur le dernier bouton!)
- C'est ok pour tout...mais vous dites pourquoi?
- Parce que nous aimons notre peuple et que nous allons en faire une fête, que nous avons nos règles fondamentales mais que vous les connaissez pas (ou peut-être vous les connaissez...alors vous nous comprenez!). Nous vous prions donc de la collaboration de peur que vous n'intimidiez notre peuple qui est très timide. Nous allons aimer notre peuple et que nous allons commémorer notre je ne sais plus combien de temps de longétivité.
- C'est vrai?! A votre santé, sa majesté. En vous remerciant de m'avoir tenu informé.


20/05/2009

Trouver une forme pour s'exprimer

"La mise en mots, c'est une précision."
"L'écriture de soi est comme un miroir qui tend vers l'autre."

---- Christine Jordis


Je commence à avoir soif des rencontres intellectuelles dans le domaine des sciences humaines. Ce n'est pas qu'il n'y a pas grand chose ici, mais que tous les sujets abordés ne m'intéressent pas, ou me sont inconnus. Celui sur "la démocratie dans la littérature chinoise", par ex. J'y ai assisté mais je crois n'en avoir rien compris à la fin. Souvent on est dans une salle de conférence pour écouter un exposé, pour découvrir quelques points de vue, quelques PPT et basta. On voit pas comment les idées se forment, on voit pas la personnalité de l'invité, pas de dialogue-débat d'où sortent les idées instructives. Et en sortant de la salle, on reste inchangé et tout ce qu'on peut en dire est  "c'était bien? oui c'était bien".

J'ai hésité un peu pour aller à la rencontre de Christine Jordis d'hier soir au CCF car j'étais sur le point de finir la traduction de la pièce musicale. Je ne regrette point d'y aller. Il y a des conférences, des rencontres qui peuvent nous inspirer du courage, (comme celle sur la 10e anniversaire de la disparition de Duras dont j'ai écrit il y a 3 ans), afin que l'on puisse se déterminer à continuer sur telle ou telle chose dont on rêve et qui est censé d'être difficile à réaliser.

En la voyant, je me dis qu'elle a en elle une sorte de charme magnétique, que toutes femmes écrivains françaises ne possèdent: chez Duras, me parait-il, la féminité s'avère intense pour se transformer en une force saillante. Chez Beauvoir, moins. Chez Sagan, encore moins. Est-ce parce qu'elle est profondément marquée par la littérature féminine anglaise, dont l'enjeu est, selon elle, le rapport de force au sein de toutes les communautés closes?

En effet, c'est avant tout son parcours qui m'attire et qui sucite ma curiosité d'aller à cette rencontre. Adepte de la littérature anglaise, elle a fait un trajet de la Sorbonne à Havard, et surtout elle a fait une thèse de doctorat sur l'humour noir, un thème bien engageant. De retour en France, elle a organisé les rencontres des écrivains français et anglais équivalents (ie: dont les styles littéraires se correspondent l'un avec l'autre) chez British Council (qui est de loin meilleur que CCC à Paris). Ce n'est pas mission facile car il faut savoir animer les échanges et les suites d'idées pour que chacun des écrivains recoive de la culture d'ailleurs et les réactions concordantes et une dose d'hétérogénéité et de fraîcheur.

C'est peut-être grâce à cette expérience qu'elle est en mesure d'établir une relation tantôt de familiarité, tantôt de distance entre le plateau et le public dont je fais partie. Et c'est dans cet atmosphère qu'elle parle des différences des partis pris dans la littérature anglaise et française, de la caractérisation et narrativité chez l'une, de l'exploitation du soi et la diversification des formes chez l'autre. Elle parle de la pratique d'écriture aussi parce qu'elle écrit et écrit sous une "multie-forme": roman, essai, biographie, critique, etc. Mais ça, ce n'est pas nouveau. Ce qui est vraiment impressionnant, c'est qu'elle est une auteure qui fait partie du jury du prix Fémina et qu'elle édite aussi. Ecrire, critiquer, éditer. Peut-on faire les trois choses en même temps? Ce serait difficile à y tenir à long terme, c'est comme main gauche contre main droite, pour emprunter le propos d'Arnaud Ryknair, en ajoutant la tête pour en faire une bagarre interne de soi. Mais de tout faire est tout de même possible si la quiétude s'impose et que les rôles soient bien distingués, que la distance entre les missions soit gardée au moment convenu: elle ne vote pas lorsqu'il s'agit d'un livre de sa maison d'édition, par exemple, ni qu'elle ne se fait la candidature pour le Fémina (elle en a déjà reçu un prix avec l'un de ses romans avant d'être adhérée dans le jury...).

Elle dit qu'elle a été frappée par le fait que les jeunes auteurs anglophones d'aujourd'hui abordent souvent les sujets des grandes catastrophes historiques(ex 911) ou naturelles. A ce sujet, j'ai effectivement lu un roman, The Reluctant Fundamentalist, qu'on m'a offert pour me divertir. L'auteur est un pakistanais qui a réussi à faire son ascension à New york et qui habite à Londres actuellement, dans le roman il parle de la désillusion of the american dream, révélée normalement après l'événement du 11 septembre: si t'es un pakistanais tu l'est toujours et tu n'est pas un citoyen américan quel que soit ton mérite professionnel. Ce sujet peut certainement intéresser bien des gens, mais franchement, pas moi. Je ne savais pas pourquoi, et j'ai ressenti la gêne en finissant la lecture.

Et Jordis a dit pourquoi. Elle a dit que dans ce genre de romans, ce sont les savoir-faire social qui s'illustrent, c'est pour elle les romans "mondialisés", globalised en anglais. Je dis bravo sur ce dernier mot. J'irais ajouter que ce genre de romans qui focus sur l'Histoire sont stratégiques et ne me paraissent pas très sincères ou sont trop naifs parce qu'ils veulent raconter l'Histoire récente ou quelque chose comme ça, pour susciter l'empathie chez les gens et éventuellement pour devenir un best-seller. Ce n'est pas que ça ne se fait pas, mais que la littérature, pour cela, n'est pas un très moyen de force.

Suite à cette remarque, je lui ai posé une question sur la littérature chinoise en France. Comme j'ai fait une petite recherche sur la littérature chinoise traduit en français pour un ami, j'ai rendu compte que la majorité de ces romans contemporains parle de l'Histoire, ou, en nous épargnant ce thème parfois trop lourd, parle de la même chose: la souffrance et la faillite de vie à cause de la Révolution Culturelle, de la survie dans la société paysane chinoise, de la contrôle des naissances, du polar meurtrier dans les grandes villes monstrueuses...Ces noirceurs circulées et recirculées sont devenues clichés et ne me branchent vraiment pas trop, il n'y manque pas de bonnes oeuvres bien sûr, qui portent une vision hors du commun, mais une grande partie c'est raconter pour raconter, et pas plus. Je me fous un peu de ces romans d'abord couronnés en Chine: les réalités fantastiques semblent être écrites pour réveiller, tandis que ceux qui peuvent être réveillés le sont déjà et que ceux qui ne sont pas réveillés ne se réveilleront peut-être jamais; pour amuser, alors que bcp de gens en Chine sont trop occupés pour avoir le temps de s'en amuser; pour s'en souvenir: mais de quoi? l'histoire misérable des Zhang ou des Li (ne prenez pas au sérieux, là j'invente) qui font déplorer ou pleurer?

Je demande si ce genre de romans ne font pas partie des "romans mondialisés". Jordis a rit, elle dit non, qu'elle ne le croit pas. Elle dit que les éditeurs en France sont désemparés en ce moment et que parfois ils prennent n'importe quelle histoire écrite sur la Chine de misère ou de fantasme. "C'est plutôt du document que du roman." Voilà le mot. Ne prononçons pas le terme de "lutte idéologique", ce n'est pas sérieux; parlons des études socio-politique plutôt que celles des lettres, qui sont impliquées dans la lecture de ces romans. Je crois que sur un point on serait d'accord: que la littérature intègre par nature une grande H, comme l'Homme plutôt que comme l'Histoire.

A la fin, Jordis doit faire la lecture d'un petit paragraphe extrait de l'un de ses romans. Sans réfléchir, elle a pris les lignes suivantes en disant que c'est l'un de ses styles d'expression.



(de: Fleurs à Chelsea)
Le stand des delphiniums décline tous les tons de bleu, de blanc et de rose, de mauve, qui va vers le violet le plus intense, chaque fleur doublée d'une touche pâle ou plus accentuée, vieux rose qui s'épuise et pâlit ou bleu incandescent de vitrail. Les hautes grappes se dressent côte à côte comme des candélabres un jour de fête. Un célébrant, le préposé au stand, circule crayon en main devant la rangée fabuleuse et renseigne les fidèles venus se recueillir. Humbles et consciencieux, penchés sur leur carnet de notes, ils questionnent, griffonnent, inscrivent, reçoivent la bonne parole, puis repartent avec réticence, pénétrés de la grâce reçue. De temps à autre, certains d'entre eux se concertent, de petits groupes se forment au milieu des allées, mais il ne faut pas s'y tromper, ces échanges n'ont rien de la simple conversation: ce sont des réunions à haut niveau, entre initiés, qui restent abstruses, impénétrables au commun des mortels, les noms savants y remplacent le langage ordinaire et les précisions données relèvent de la science la plus fine. Ils ne paient pas de mine, ces érudits, avec leur sac à dos, leur vieux ciré et leur chapeau à bord mou, mais à les regarder un instant, on devine qu'une même passion les habite, une obsession unique qui les pousse de stand en stand, absorbés par leurs découvertes, aveugles à tout le reste, fixés sur leur but comme le chercheur d'or sur la vision de sa pépite, riches de tous les trésors de la terre une fois trouvé l'objet idéal et leur passion satisfaite.


 

17/05/2009

Aujourdhuiencoreune scène


P: Allo Bloggerenchine?
P: C'est lui. Vous êtes?
P: Je me confesse!
P: Ah...dis-moi.
P: J'ai tort!
P: Qu'est-ce qu'il y a? Autrement dit, comment ça va?
P: J'ai dit ce qu'il ne fallait pas être dit...
P: Vas-y raconte.
P: Mais tu sais bien ce que je voulais dire...euh, dans un coin de mon espace...compris?
P: Ah...oui c'est vrai. Et alors?
P: Rien mais...juste pour dire que je me laisse coincer, je laisse mon blogger bloqué,  volontier...
P: Bah, on n'a pas d'autres moyens tu sais...mais attends comment ça se fait que tu puisses me parler??
P: Parler? Dire que je suis en train de parler, ce n'est pas juste...non non je te chante...mais tu me connais un peu je crois??... Enfin, récemment lorsque je mettais une phrase comme "n'aime pas la ville de pékin mais aime pékin", j'ai eu un suivi comme "quel casse-tête:)". Je me demande bien si ça ne me convient pas...
P: Si si ça te convient ça...Ah tu veux que je te note? Disons un E: excellent! Ca te va?
P: Je te remercie, mon Seigneur. Je t'ai présenté les personnes que j'aime aussi bien que ma vie. Protège-les dans leur vie, et donne-moi la force de respecter le serment que je fais devant toi. Je n'arrêterais jamais l'écriture. Mon écriture ne serait jamais n'improte quoi. C'est, mon sacrifice, mon pacte avec toi.

(bruitage des clochers, puis un peu de silence, puis les rires.)

P: Cool. On s'arrête là aujourd'hui. Juste un truc, pour le serment, il faut utiliser l'indicatif future simple. Regarde un peu dans le script, t'oublies toujours ça, toi!
P: ah oui, il est vrai que de tout retenir par coeur, c'est pour moi bien difficile...allons manger.

 
(FIN ACTE-I)

10/05/2009

Christophe Honoré hérite encore

Si j'ai été attirée par Les chansons d'amour, film dont j'ai retenu le nom il y a plus d'un an mais que je n'ai pas eu d'occasion de regarder, c'est moins parce qu'on y trouve des chansons d'amour que parce que c'est un film de Christophe Honoré.

J'ai remarqué ce nom après avoir vu Dans Paris. L'auteur y rend hommage aux grands auteurs de la Nouvelle Vague, notamment à Truffaut. Et on y trouve des traces d'apprentissage tant sur le langage cinématographique que sur le thème, ce qui n'empêche que Honoré a développé à travers ce film son propre thème préoccupé, comme "Prends la peine d'ignorer la tristesse des tiens". Je l'ai bien aimé, ce film, par les raisons semblables que celles pour lesquelles j'ai aimé les films de la Nouvelle Vague: ces films font percevoir qch qu'on ne voit pas habituellement, donnent souvent des chocs à la fin en testant la patience des spectateurs. En un mot, songeants.

En effet, ce qui m'impressionne chez lui, c'est avant tout son habileté et sa mesure entre la répétition et la rénovation dans sa pratique du cinéma, par rapport à ses précédents. J'ai même eu l'idée de faire un dossier sur lui, après avoir vu Dans Paris, alors fraîchement sorti en salles, au tout début de mes études Mundus: au vu de son parcours, son oeuvre rapporterait très bien au sujet de "littérature et cinéma". Le dossier n'a pas pris la suite, ma directrice d'alors m'a déconseillé de le faire car le travail était récent et qu'il manquerait de références pour bien mener les analyses. Un an plus tard, il a sorti la Belle Personne, film adapté du fameux "roman inutile" La Princesse de Clève"(pas encore vu...), ce qui me fait penser à la phrase deleuzienne qu'un ami a récemment cité: "L'art est résister...bien que toute oeuvre d'art ne soit pas un acte de résistance, mais d'une certaine manière elle l'est. " Bien sûr, afin de pouvoir bien définir un style "honoréen"(ah...que ça fait bizarre), il faut attendre plus longtemps et voir ses oevures à venir.

Les chansons d'amour est un autre exemplaire de la création cinématographique de Honoré. Devant la presse, le réalisateur a bien prononcé le nom de Truffaut et de Jacques Demy comme les principales sources d'inspiration. La formule de la comédie musicale ayant été initiée de Demy, on ne peut cependant pas imposer l'idée que Honoré a fait "comme" Demy. Il n'y est pas parvenu d'ailleurs, si l'on compare la maîtrise de Demy sur la concordance entre le spectacle mouvemental et la musique chantée, dans par ex Les Demoiselles de Rochefort que j'ai pu voir grâce à la projection du CCF. De part le style fluide de Demy, Christophe Honoréce veut surtout que les dialogues musicaux soient intégrés au cours du film, et il ne l'a point râté.

Au niveau du thème, c'est sur Paris (encore...) et sur les amours dans Paris-- tellement "dans" que les gens se couvrent bien, phénomène récurrent des grandes villes charmantes. Là, il n'y a pas de surprise. Il a tourné, avec la caméra parfois trépidante, les coins peu colorés et bien nébuleux d'un Paris que ceux qui n'y ont pas séjourné pendant au moins 15 jours ne devraient pas bien connaître. Le cadrage des scènes de rue est soigneusement conçu. A chaque seconde de passage il y a des choses qui se révèlent, un panneau de station de métro, une pub roulante, un numéro de bus, une figure qui passe...Dans la vie on appellerait ça une maladie obsessionnelle , dans le cinéma le jeu sémiotique servant de la révélation.

Quant aux amours, il poursuit la quête idéologique du genre Truffaut. Mais il a versé une bonne dose d'improbabilité de l'amour pour y rajouter, avec les paroles magnifiquement écrites, quelques particules hétérogènes, qui bloque un peu les gens comme ce corps étranger qui aurait provoqué l'obstruction respiratoire de Julie la bien aimée: c'est sur cette mort que s'achève la première des trois actes: le départ.

Chez Christophe Honoré, l'amour, ou plutôt les amours, ne sont pas improbables mais sont marqués d'enchevêtrement, et de complexité, qui circulent d'un personnage à l'autre, d'une famille à l'autre, d'une génération à l'autre, embrouillent assez complètement tout espace du cadre, le déborde. L'une des leçons majeures est tirée: il en faut mesurer la dose. On entend d'ailleurs la devise prononcée dans la scène ultime, où Ismaël le bel être et Erwann le classe préparatoire s'embrassent en dehors de la fenêtre de 1er étage au bord de la rue, en compagnie de la chanson de Barbara: Ce matin-là.

Emotionnellement parlé, il y a des films qui mouillent mes yeux de larmes, il y en a qui obscurcit et qui m'étouffe un peu. Il y a de rares films qui donnent envie de crier, et c'en est un. Dans la musique de Barbara je me suis ressentie étreinte et ai eu envie de crier.

C'est après avoir consulté les paroles de cette chanson, une chanson-clé dirait-on, que j'ai cru avoir mieux compris l'état mental de ces personnages et l'intention du réalisateur au sujet de ce thème, et c'est là que j'ai trouvé ce film véritablement bouleversant.



---------------------------------
NB:

- Sur la chanson de Barbara: on est en ce moment privé du Youtube en Chine, je mets donc juste le lien des paroles; si vous avez envie de l'écouter, vous vous débrouillez.

-Sur le film: ci-dessous le lien vers une analyse bien complète sur ce film, elle aborde notamment les cotenus dont je ne sais trop comment en parler. Ceci dit, si vous n'avez pas vu ce film, et que vous avez envie de le faire, n'y cliquez pas jusqu'à ce que vous l'aurez vu.

http://cinema.fluctuat.net/films/les-chansons-d-amour/1694-chronique-comme-ca-lui-chante.html