24/05/2009

Un extrait

[...]
Il sait que dans le métier, on dit "faire des stars", mais il refuse tant qu'il peut d'intégrer des mots anglais dans la langue française. C'est avec le mot "parking" qu'il a du mal, il ne sait pas vraiment par quoi le remplacer celui-là, sans parler du "modeling", le métier de sa fille...Pour lui, le modeling, c'est la traduction anglaise du modélisme, pas de faire poser des jeunes filles pour les magazines ou des marques d'eau minérale. [...]
- Je croyais qu'avec près de cent mille mots, le français était une des lanues les plus riches du monde... Pas étonnant qu'on ait perdu la guerre... On a décidément tout perdu alors... Avant, l'allemand, maintenant l'anglais... Mais pour en revenir aux Boches... il ne faut pas leur donner d'idées de grandeur, on sait ce qu'ils en font...
- Papa, la guerre est finie depuis longtemps, et on ne l'a pas perdue, qu'est-ce que tu racontes... [...] C'est normal qu'on emploie des termes anglais. Et puis, je croyais que tu disais "savon pour la tête", au lieux de shampoing?...
- Je sais ce que je dis... On n'a pas gagné la guerre, on est venu nous sauver, ce n'est pas pareil. Et puis, tes filles, là... elles n'ont petu-être pas d'idées de grandeur au début, mais quand on devient célèbre, ça s'attrape avec...Comme un vérus... [...]


Marie va s'asseoir sur le grand lit blanc recouvert d'une couette gonflée comme un ballon, [...]. une grosse boule de plume prête à s'envoler. Très accueilllante, confortable aussi. Gemütlich. La couette a traversé la guerre et, avec elle, la conception allemande du confort, la base du mode de vie allemand. Même pendant la guerre, les Allemands n'ont jamais abandonné leur couette, l'idée rassurante de la chaleur du nid, au moins une valeur sûre à laquelle se raccrocher.
Cette opiniâtreté dans le confort de vivre, cette certitude que les choses vous aiment, Marie aimerait bien avoir encore cette confiance-là. Allongée sur le lit de plumes, elle promène doucement ses mains sur le drap qui les emprisonne, en fermant les yeux. Laisse-toi aller, elle caresse maintenant l'éponge du peignoir blanc. La matière encore chaude évoque la douceur possible et proche. Et le calme aussi. Le calme. La tête de Marie va mieux, enfin. La brigade d'assaillants qui tenait son cerveau en otage a sérieusement lâché prise. On peut tout remettre à plus tard, même si le corps pour l'instant séparé de la tête est esquinté, comme roué de coups.
Marie balance doucement son corps sur le matelas et ferme les yeux, mais ses jambes sont en dehors du lit et ses pieds penchés frôlent la moquette épaisse. On ne sait jamais, elle pourrait prendre la décision de se lever tout de suite, elle ne veut pas s'installer dans la peur du souvenir de Jeanne. Elle ne doit pas. Il ne faut pas. Tiens, elle n'a plus mal nulle part.



Ci-dessus l'extrait (un peu long) du roman Tellement Belles. C'est un roman très léger d'apparence mais qui s'avère de plus en plus méditant lorsque certains topics y sont abordés. Je ne peux pas en dire grand chose en ce moment car je le découvre en traduisant. Mais je sens déjà le bonheur de faire cette traduction.


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