30/05/2009

Dans La Boîte

Ca fait rire, ça fait pleurer, ça fait rire aux larmes.
Ce n'est pas une pièce parfaite mais une pièce bien faite.

Ca me rappelle les guignols que j'ai vu dans le quartier du vieux Lyon, la scène de guignol au ¨Parc de la Tête d'or, le regret de ne pas avoir vu le spectacle de guignols à Lyon, et le film de Pasolini Che cosa sono le nuvole (Qu'est-ce que les nuages?). La chanson à la fin du film était super, mais je ne me souviens pas du titre de la chanson. Mais je me souviens du plan ultime, si ma mémoire est bonne: le joueur de marionettes jettent la marionette féminine et la marionette masculine (dont les ficelles sont tirées par Pasolini en personne en haut de la scène) aux ordures près d'une poubelle au bord de la rue, les laissant regarder le ciel bleu, et il n'y a que ça à regarder. Corps contre corps, yeux grands ouverts et visage souriant, la fille dit, ma guardai, che belle le nuvole...l'homme: è vero... ma che cosa sono le nuvole? la fille: E...ma che cosa sono le nuvole?... Puis, fin du film.

Parlons de La Boîte, pièce théâtrale présentée dans le cadre du festival Croisements 09'. Comment parler de cette pièce qui n'a rien de surprenant? La coopération entre les guignols lyonnais et les marionnettes taiwanais n'est pas surprenante, le fait que les acteurs des deux cultures qui ne connaissent pas la langue de l'autre et qui peuvent cependant se comprendre par hasard n'est pas surprenant. L'amour à distance et entre deux personnes qui supportent leurs différences n'est pas surprenant. Les "aventures trépidantes" ne sont pas surprenantes. Le retrouvaille n'est pas surprenant.

Ce qui me surprend, c'est le fait que les guignols, aussi drôles que leur apparence, semblent être réduits par rapport à ce que j'avais vu dans les vitrines du vieux quartier lyonnais, que l'incapacité de la communication linguistique plus l'élan naturel et bienveillant plus le malentendu créent dans l'ensemble un effet loufoque de merveille. Je reprends quelques mots dans la pièce: A Ji (阿基)est le nom du garçon taiwanais, devenu A Ki en français. Marie, fille lyonnaise reste Ma-ri/li en mandarin. Lorsque l'un des joueurs de marionette taiwanaise reste cloué dans sa boîte d'outil dans lequel il met ses marionettes, il demande à son homologue français de lui donner un coup de main en criant: La-Yi-Ba!(拉一把), "tire-moi un coup (pour que je sorte debout)", pour traduire mot à mot sans savoir si c'est bon ou pas; son homologue lui rit chaleureusement en répondant: Ah?? ...Ah!! Lai-Ba!(来吧!), "Come on!". Et puis, les goulougoulougoulougoulou...(咕噜咕噜咕噜咕噜咕噜...)veut dire: boire / boire dans un bar.

La scène se joue en trois registres: l'image de la projection en premier, car en déscendant les rideaux blancs la grosse cube divisée en plusieurs mini-scènes de marionettes est devenue un écran dimensionnel sur lequel les vies de l'est et de l'ouest sont vu côte à côte lorsque le cube tourne : mon billet que m'a vendu un boeuf jaune (mascotte de l'année deux mille neuf, rappelez-vous, et j'avoue que c'est la première fois que j'essaie d'acheter un billet de manière irrégulière, j'ai même oublié de négocier le prix!! ) m'a placée sur le côté ouest, ce qui est très logique pour ma découverte de l'exotisme. Ensuite, l'image des marionettes. Les guignols lyonnais savent sauter haut et fort en s'affolant et laissent tomber tout ce qu'ils ont dans la main: un balai, un pot de miel (que le guignol introducteur a défendu acharnement contre les ours avant de tout vider en disant: je vais dire que c'est vous qui l'avez mangé!!), et puis un immense soutien-gorge en cotton, tombé de la main de Marie qui ramasse ses vêtements sur la terrasse, et ramassé par A Ki (qui essayais de montrer à son père qu'il a trouvé deux bonnets liés) et retourné par le père d'A Ki au père de Marie qui dit: Ah oui, c'est pas celui de Marie mais celui de la marionnette de Marie!! Enfin, à partir d'un certain moment, les acteurs entrent à l'intérieur de la boîte en cube, la lumière éclairant faiblement leur figure, leur silhouette laisse dégager une sorte de solitude touchante même si les personnages sont dedans en train de mener un dialogue.

Le maître de la troupe taiwanaise apprend parfois l'art de marionette à ses disciples comme à ses amis étrangers. A ses disciples chinois il dit, pour jouer une scène de combat genre opéra de pékin, il faut bouger...il faut bouger pour montrer le mouvement et en donner vie. Et il faut répéter, répéter jusqu'à ce que ça ressemble à un vrai combat. Et à ce moment-là on peut appeler de l'artisanat des doigts l'art de patrimoine culturel.

C'est parce que c'est vraiment les doigts qui fonctionnent et qui dansent, ce que montre les quelques images documentaires projetées sur l'écran de la boîte. Et le maître apprend ça à son homologue français, qui a vraiment les idées d'état second. C'est parce que, vue la difficulté de maîtrise de ce dernier, le maître lui propose de porter la marionette sur la main comme porter un gant et de descendre et lever et redescendre et relever la main à vitesse et dans l'air, afin de donner vie à la marionette. Le joueur français essaie de suivre le conseil tout en faisant le mouvement avec la main droite portant la marionette en l'appuyant sur le dessus de sa main gauche: ce que le maître n'a pas demandé. Et voilà l'un des essentiels du malentendu orient-occident: lorsqu'un maître d'art oriental parle sérieusement de la maîtrise de l'art traditionnel, le joueur français pense tout de suite au sexe. Et pour une fois lorsque je parlais de la pluie et du beau temps, par exemple, et de la danse, on m'a fait croire que j'étais aussi en train de parler du sexe. Donc depuis, j'ai cru qu'en parlant de la pluie et du beau temps ou de la danse, je parle du sexe. C'est vraiment de la magie.

Vers la fin du spectacle, la boîte en couleur tourne et tourne, apparaît là-dessus le sourire de la tête de Bouddha. Ca m'a surpris aussi, ça. Voici donc encore une leçon de la vacuité, la fatalité, le nirvana? Sans doute.

Et c'est à ce moment que toutes les deux troupes courrent ensemble vers le devant de la scène en manifestant leur joie. Le retrouvaille est gravement symbolisé, ce qui m'a été une autre surprise, comme les dites "aventures trépidantes" ont été symbolisées. Je pourrais écrire des choses plus trépidantes que ça. Croyez-le ou le croyez pas.

Les deux troupes parlent toutes les deux leur propre langue, ou presque. Il y avait juste un bref moment de sous-titrage. Quelques spectateurs sont partis au milieu du spectacle, la plupart est restée jusqu'à la fin. Je me suis demandée comment les Français qui ne connaissent pas le chinois et les Chinois qui ne connaissent pas le français vont penser de ce spectacle dont ils ne comprennent que la partie homogène.

Je me suis souvenue tout d'un coup le moment où je prenais le bus en Italie: dans le bus qui monte à la Citta Alta bergamasque, les passagers locaux étaient parfois bavards comme les pies, avec une langue tellement musicale que j'ignorais (et que j'ai considéré ainsi comme de la musique pure sans parole).

Ce plaisir de l'inconnu, j'en ai largement perdu, notamment celui entre la langue chinoise et la langue française. Et c'est un peu la mélancolie de la traductrice.



Pour info:

- présentation sur la pièce théâtrale La Boîte: Cliquez ICI
- je suis encore vivante mais j'ai été terrible ces deux jours. J'ai ri toute seule dans la rue, je me suis trompée de sens du bus que j'ai pris aujourd'hui, j'ai eu pendant quelques instant un petit orage sur mon visage.C'est hélas du temps vraiement bizarre et de l'anormalie vraiment complète.




Libellé: In Fabula, la Chineuse chine, Audio-visuel

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