20/01/2009

公德/Gong De, La morale publique

« Somme toute, la vraie question devient : qui n'est pas moraliste ? »

J'ai découvert cette phrase comme status d'un ami lointain sur Facebook. Si vous vous souvenez du jeu d'extrait au sort dont j'ai parlé, voilà sa réponse à lui, et j'ai bien cru que, tout comme ma phrase me l'a faite, cette phrase l'a marqué, ce jeune doctorant français spécialisé en lettres du XVIII Siècle.

Cette phrase a surgi dans ma tête lorsque je vois deux personnes se disputer dans le métro de Pékin. Non, ce n'est plutôt pas une dispute, c'est l'une qui crie fort en jettant les mots, l'autre qui réplique en se défendant.

L'une est femme d'accent cantonais, correctement habillée. Lorsque le train arrive au quai, elle se serait présentée rude pour monter sans attendre dans la queue, la fameuse queue du métro de Pékin qui m'a bien impressionnée ; l'autre est homme d'accent pékinois, dans un uniforme de police, portant les lunettes de soleil. Il aurait poussé cette femme pour lui empêcher de sauter la queue, et l'aurait ainsi énervée.

...

F : Mais tu me pousses, hein ! Agent de police...agent de police peut donc frapper les gens ?!

H : Ah, les autres font la queue, toi ne la fais pas, et tu as encore raison ?

F : Quoi donc ? Tu es agent de police et tu me frappes, tu te gonfles parce que t'es agent de police, hein ? Et avec les lunettes, qui effrayes-tu ?! ...Toi, un grand homme qui maltraite une femme, tu peux être considéré comme homme, toi ?!

H : Hé alors, comment ça se fait que t'as tellement de paroles ? Il y a quelqu'un d'autre qui est comme toi ? Impudente !... Tu ne veux pas ta face !

F : Ah, tu insultes encore, moi je vais te faire une photo, j'irai réclamer ! (sort son mobile muni du mini appareil-photo) Viens, enlève tes lunettes ! (fait la photo)

(voix-off d'une femme d'accent pékinois : Ca suffit ! Qu'est-ce qu'on fabrique...(C'est le) lieu public !

(la copine de cette femme : Ca y est, bon homme ne lutte pas contre les femmes...(un proverbe)

F : Plutôt bonne femme ne lutte pas contre les hommes ! (elle a fini sa photo. L'homme ne la regarde plus.)

H : Avec point de consience de la morale publique...Quelle qualité (, cette femme) !

La querelle se termine, ce n'est qu'après la descente de la femme que l'agent de police a repris sa parole en se plaignant un peu : « Sacré femme, comment il peut y avoir ce genre de personnes ? Les autres font la queue, elle ne l'a fait pas et elle en a encore pleine de raison ?! Moi je vais à une mission et je ne veux pas me faire des ennuies, quoi. Et pourtant elle n'en finit pas... » Un homme à côté lui répond en disant qu'il ne faut pas prendre au sérieux avec ce genre de personne, qui n'a pas la qualité/su zhi, et qu'on n'en peut rien : « Gong dao zi zai ren xin(un proverbe)/ (malgré tout,) la justice est toujours dans le coeur des gens ».

La voiture regagne le silence.

Durant toute la querelle, une sorte de tension règne chez les gens d'alentour. Ce serait bien l'uniforme de police qui rend sensible les choses. Dans cette même scène, une mère près de moi allait dire à l'agent de police de se calmer, tandis que sa fille lui a couvert la bouche par la main : c'est à ma surprise. Je sais que l'uniforme de police symbolise le pouvoir d'Etat, mais pas tant que ça, si ? Celui qui porte cet uniforme, où qu'il se rend et quelle que soit sa motivation, représente le pouvoir d'Etat ? Me semble que ce n'est pas très judicieux de suivre cette logique.

Sans parler de cette bonne femme du Sud, insouciante pour les uns, courageuse pour les autres et simplement rude à mes yeux. On dit que sa région cantonaise est plus libre et plus agitée, on proteste plus facilement contre les autorités comme on sort plus facilement un couteau. C'est bien, la volonté de s'exprimer, mais ne faut-il pas quand même prendre des mesures ? Un agent de police doit faire attention de lui-même lorsqu'il porte son uniforme qui symbolise le pouvoir d'Etat, certes, mais serait-il obligé de porter ce caractère du métier, même lorsqu'il prend le métro ? Imaginons  si cette femme prennait au sérieux pour aller se réclamer chez je ne sais quel média, (mais elle écrira forcément cette histoire dans son blog si elle en possède un) en pesant ses mots, l'histoire d'un homme qui empêche spontanément une femme qui saute la queue se transformerait bel et bien en scandale public : agent de police pékinois qui insulte une femme citoyenne dans un métro. Oh la la, ça inviterait à protester contre les autorités policières.

Pourquoi donc, une simple uniforme peut remplaçer voire annuler une personne toute ordinaire ? L'uniforme, ça couvre toute son identité ?

Je crois bien que l'essentiel ici n'est pas ce que la femme doit suivre ou non la queue pour monter dans le métro, mais qu'elle cible dans un premier temps à l'identité d'agent de police de cet homme. C'est donc par ce moyen qu'on réclame la souveraineté du peuple ?

Un avocat de Pékin avec qui j'ai eu l'occasion de parler, par pur hasard et ce avec grand plaisir, a exprimé sa vision sur la société chinoise qu'il connait bien en disant qu'il ne faut vraiment pas s'empresser pour accéder à la démocratie totale, qu'il faut du temps pour que les choses s'évoluent doucement. Ce dit n'est pas nouveau, vous le savez bien, et moi j'en suis bien d'accord. La démocratie totale tiendrait-elle si l'on aime toujours s'accuser l'un contre l'autre, vite et efficace, avec un bon cible, un groupe qui soutient, bien des passions et peu de réflex-ion ?

Quant à la morale publique, je ne peux en juger. L'agent de police, ce bon citoyen pékinois qui critique spontanément le comportement de la femme avec son coup de poussée, un geste de trop, me semble-il, aurait dû se taire en laissant cette dernière jeter les mots dans l'air toute seule, peut-être. Comme donc la majorité silencieuse ?

Et puis, c'est amusant d'entendre les pékinois évoquer aussi souvent ce terme de la morale publique. Faire la queue, à mon sens, est moins l'histoire de la morale publique, autrement dit face d'une ville, que celle du mérite personnel, autrement dit qualité d'une société. On fait naturellement la queue au platform pour accéder au métro, quand il y a du monde, comme on fait la queue pour prendre une baguette à 17h30. N'est-ce pas?


------------------------------------

Lecture étendue:

Philippe Sollers: "la connerie se porte bien."

Un article que j'ai bien aimé, sur la littérature et la lecture, etc.En voici quelques extraits:

- Jamais l'expression "mourir de rire" n'a été aussi d'actualité, évidemment, c'est tragique.

- Pour savoir écrire, il faut savoir lire, et pour savoir lire, il faut savoir vivre.

- Le concept de responsabilité m'est totalement étranger. Un écrivain, contrairement à ce qu'on lui répète tous les jours, n'a pas à se préoccuper du bien ou du mal en cours. Il décrit, il montre, et il pense. C'est très suffisant.

- Faites confiance aux mots, vous verrez comme votre vie en sera transformée.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Sollers....souvent c'est ça que nous lui reprochons:

"Philippe Sollers : Roth sait de quoi il parle, notamment lorsqu'il a dit qu'il y avait un seul écrivain français intéressant, moi."

Il faut oser !

Anonyme a dit…

Sollers est auto-satisfait. Mais il est parfois fort plaisant à lire, voir par exemple le recueil Grand Beau Temps (éditions du Cherche-Midi) concocté par son admirateur Guillaume Petit.

Delphine a dit…

Merci Cochonfucius pour le lien. Xiao-bob, en effet, il faut du courage voire de l'audace de se valoriser comme ça. Si cet écrivain disais ce genre de phrase dans une conférence de presse pour la publication de son livre, par ex, je le jugerais arrogant. Mais dans une interview qui n'est pas pour fin directe de la vente, je vois que c'est un défi qu'il lance, et c'est de se suicider un peu aussi. Je connais pas le contexte de son histoire avec Roth, mais en citant ce dernier j'ai l'impression qu'il sait de quoi il parle aussi, c'est-à-dire avec sincérité et bonne volonté, en considérant ce "moi" comme un autre.
Quant à sa critique sur l'écriture de trop à nos jours, il est vrai que quelque part, ça pose du problème, tout comme le boom des médias, et c'est ce qui préoccupe souvent les écrivains disons sérieux(ou d'autorités, de la même manière que ceux qui mettent trop d'accent sur la moralité publique: ce serait pour rire).
Or de vaguement tout désapprouver ne serait pas un bon moyen de conseils, les bloggeurs-amusettes comme moi auraient bien en fait fi en continuant à écrire dans notre temps qui est pour le moment "gratuit". Il aurait plutôt pu atténuer ses propos en prenant la stratégie pour dire, par ex, qu'il faudrait lire (et vivre) davantage pour mieux écrire.
Tout compte fait, pour juger un écrivain, je crois qu'il est moins important de voir ce qu'il a dit que ce qu'il a écrit. On ne refuse pas de lire Voltaire ou Rousseau parce que l'un commet les calomnies et l'autre le paranoïa de persécution. Et si je suivais uniquement les dires de Duras qui sont parfois provoquants, je l'aurais probablement détestée.