19/02/2009

"Paris", synthèse bleue de Klapisch

"Vaut mieux ne pas prendre l'habitude d'emmener le boulot. Finis tout dans le bureau. Mais t'as besoin de voir tous les films en avance... Donc, le seul devoir à la maison: regarder les films."
--la patronne


J'ai lu les synopsis de "Paris" avant de voir le film. J'ai vu le film avant de me rappeler qui est Klapisch. Mais qui c'est?

C'est alors bien celui qui a fait "Auberge Espagnol", le fameux film des Erasmus (donc des Erasmus Mundus) qu'un ami m'a proposé lorsque je lui ai dit que j'ai été retenue par le programme Mundus, et que je n'ai toujours pas eu l'occasion de voir (mais que j'ai vécu). C'est là que je me suis souvenue d'un entretien avec ce réalisateur dans "Qu'en pensez-vous?", émission de samedi née de la réforme de France Culture après la rentrée du septembre 2008 (c'est grâce à Sarko..). J'ignorais son nom au début, j'avais retenu ses paroles avant d'entendre parler de son nom. Il a dit que, pour apprendre le cinéma, il avait essayé l'IDHEC, mais il avait été refusé. Ca lui a été une chance parce qu'il est allé alors à New York pour apprendre la réalisation, a acquéri ainsi, en plus d'une vision ouverte au monde, un savoir-faire américain qui lui a permis d'équilibrer la conceptualisation de trop dans le cinéma français. Depuis, il cherche toujours un point juste entre le cinéma commercial et le cinéma d'auteur.

Il faut dire que Klapisch est bien réussi, voire très réussi sur ce point. "Paris" en est la preuve. C'est un film qui fait plaisir, film touchant et qui touche simplement. C'est un Paris que les touristes reconnaissent et que ceux qui y ont vécu, habitants comme voyageurs, connaissent.

L'histoire se divise en, ou il faut plutôt dire "être composée de", plusieurs épisodes: la vie des autres et le croisement de ces vies et des personnages sous le regard du danseur dont le coeur "ne fonctionne plus". Un tel scénario circulaire dont le mot de passe est "être tombé sur..." et "a croisé/vu..." n'est pas nouveau, ce n'est pas la première fois qu'on voit dans un film que les histoires des différentes figures font réunir les gens à un moment donné: l'exercice de l'aspect dramatique est déjà fait dans Chacun cherche son chat, un autre film de Klapisch sur la ville de Paris que je ne connaissais pas encore au moment où j'ai vu ce film à Nankin.

Une petite dose de brutalité maladroite pique, lorsque la motoriste dragueuse rentre violemment dans une camion- un accident mortel- comme pour satifaire au besoin du scénariste qui veut sérieusement créer une condition nécessaire pour la greffe du coeur de notre beau danseur joué par Duris, et qui veut en même temps provoquer le sentiment de la désolation chez le spectateur juste après la fameuse conversation entre le patron et la nouvelle embauchée: "Tu peux commencer lundi prochain?" "Vendue!"

Les figures sont richement construites, chacune contribuant à la diversité qui marque la haute réalité de la ville en tempe actuel, chacune marquée d'une authenticité tant théâtralisée qu' impitoyable. Pour ne parler que de la bouffe, et c'est ça qui, oups, provoque en moi le coup de la nostalgie ridicule: voyons comment chantent les bouchers et les poissonniers au marché, ils sont aussi drôles, simples et bienveillants que les jeunes vendeurs arabes au marché de dimanche à Bastille. Et puis, souvenez-vous de la boulangère raciste dans le film, qui dans une première seconde chante aux clients "Bonjjjour!""Vous désirrrez?" "Traditionnelle ou normale?" "Avec ceccci??" "Au revvvoir Monsieur Dame!!", dans une deuxième seconde donne les discours comme "les africaines sont...ah yaya...zezeze...Mais j'aime les normandes, ah je les adore, elles travaillent beaucoup; les bretonnes... les bretonnes ne sont pas mal non plus; mais les corsières, vous avez, heu...hein, elles sont...enfin...pas terribles..."

Dans une critique, on pose la question: qui parle encore aujourd'hui comme ça? Sans doute personne. Mais moi je dis que l'envers de la boulangère existe. Je précise: la dame de la boulangerie à 100 mètres de la Bastille, métro sortie rue St Antoine. Je fais pas la pub. Je dis que chez elle, les pains sont tops, ce devrait être les meilleurs dans le quartier. Mais néanmoins, la dame ne souriait jamais et était toujours très sévère avec la jeune fille assistante, le temps que j'y allais chercher les pains; et elle distinguait très bien ses clients blanc, jaunes, noirs, classe, moins classe, vulgaire, comme distinguer les pains de maïs, pains complets, pains de seigle, baguette au pavot, baguette multi-céréales, baguette aux grains de tourne-sol. "C'est ça, Paris." Belle synthèse gratuite.

Quand on parle de Paris, les histoires de l'amour libertin et du désir sont incontournables. Ces derniers rapprochent les gens blessés ou solitaires, dont l'instinct parvient toutefois à résister à la mauvaise foi de 100% et apprend à comprendre le sentiment amoureux, le vrai. Ainsi y a-t-il eu l'une des plus belles scènes où le poissonier verse les cendres de la motoriste depuis la terrasse de la Montparnasse: promesse tenue. Et la scène dans laquelle l'ami/ennemi du poissonier s'arrête brutalement alors qu'il est prêt à bondir comme une bête sur une femme inconnue vêtue de léopard: "non, c'est pas toi", et s'en va: à cause d'une même phrase qu'avait dit la motoriste. Même la belle étudiante qui profite en même temps d'un beau juvénile et de son prof historien épris d'elle et souffert de solitude (et qui danse super bien!!) a décidé de faire venir cet homme d'âge moyen pour qu'il "voie sa vie": invitation au voyeurisme et à l'exercice du durcissement du coeur.

Le voyeurisme? Mais c'est la moindre des choses dans un amour comme dans un film. L'amour pour une personne comme celui pour une ville. C'est bien là que se distingue la caméra de Klapisch qui caresse cette ville chère à lui, dans ce film qui inclut tant de vue et de vision exceptionnelles sur la ville et sur la vie dans cette ville. Les diverses façons de voir Paris, réparties dans tout le film, sont tout à fait poétiques, et c'est dommage que les qq critiques que j'ai lues ne semblent pas avoir remarqué cela. Comptons: le regard du danseur du haut du balcon de l'appartement pour voir, citons le synopsis, "les gens de la ville qui lui montrent la danse de la vie"; la vue d'une chambre à une autre en face de la rue (ça date de l'époque de Truffaut); le panorama de toute la ville depuis un appart de la Défense; et la vue la plus fantastique : celle de l'historien qui guette par hasard sa jeune aimée à travers une longue-vue en haut de la Tour Eiffel.

Le film se termine sur la vue la plus magnifique, de loin ma préférée: le denseur va à l'hôpital recevoir l'opération de la greffe, il regarde la ville à travers de la fenêtre du taxi traversant Paris. Les quelques coins familiers que j'ai vu dans le regard du danseur me serrent le coeur. On dirait un faux cliché semblable à la manif dont le taxi driver parle dans le film comme un rappel aux touristes: la Bastille, c'est les manifs.

ô Bastille: d'où j'ai quitté la France. Voici l'une des dernières séquences-travelling(notées par mémoire): la caméra parcourt les boutiques, revient sur le visage de Romain, de nouveau part à l'extérieur du taxi, arrive à la place Bastille, les escaliers de l'Opéra; puis remonte, devient plus aérienne : le petit angel doré. Oui, dans le sens face de l'angel, il y avait l'amie qui m'hébergait et chez qui j'ai passé les jours d'angoisse, d'auto-restauration, de la joie des arts et des amitiés. La caméra tourne rond avec le taxi, s'en éloigne, et on voit le visage de Romain, superposé avec son reflet: Romain allongé sur le siège, regardant le Paris teinté du bleu du ciel.

A vrai dire, ces quelques secondes m'a provoqué presque les larmes. Bien insensée, hein, et j'ai dit ça à mon collègue documentariste, avec qui j'échange qq mots sur les films, alors qu'il me dit que "Il y a longtemps que je t'aime" lui a coûté les larmes, encore que c'était dans le bureau!

Au dernier plan du film, un air paradisiaque règne sur le visage de Romain. Si l'on pouvait aller au rendez-vous avec le diable de telle façon, ce serait de la grâce de Dieu, sans faute.



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Plus d'infos:

-Une critique que j'aime bien parmi les quelques articles que j'ai consultés: cliquez ICI

-Site officiel du film Paris: http://www.lefilm-paris.com/




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