07/03/2009

Combien de temps encore??

Ca va pas.

Ca va pas très bien parce que j'ai finalement vu Deux jours à tuer de Jean Becker. Avant de voir ce film, j'ai fait parler de ce film à plusieurs reprises, mon collègue chinois refuse à chaque fois de rentrer dans les détails, disant qu'il me faut voir en personne pour juger. Une autre collègue dit que c'est un film parmi d'autres. Un film, quoi.

Je rejoins mon collègue.

Par respect des lecteurs qui n'ont pas vu ce film, je ne parle pas non plus de l'histoire. Parlons d'autres choses que de l'histoire même. J'ai d'abord été saisie par le regard d'Antoine joué par Albert Dupontel, un regard semblable à celui du poissonnier, joué par le même acteur, dans le film Paris. Cet acteur réussit durant tout le film à exprimer l'indicible: un coup de destin énigmatique et toutes choses ont désormais changé dans sa vie. Sa malveillance, son envie de sabotage sur toutes les relations ne se font pas comprendre par son entourage. Et lui se laisse jeter les mots, commettre l'irrémédiable-- pas tant que ça, quand même. Il a juste dit les sombres côtés sur les vérités de la société qu'il perçoit, les vérités qu'on n'en dit jamais, ou très peu: sur la fausseté des textes publicitaires, l'égoisme et l'arrogance, la manque de confiance trop facile, la charité qui ne fait pas plus de bien à l'autrui qu'à la personne même, les "connaissances" plutôt que "les amitiés". Ce sont soit ces mots qui percent, les idées presque taboues que l'on cache souvent pour maintenir l'harmonie de la société et des relationnels, soit les propos délibérément irritants pour irriter ses bien-aimés.

A la soirée de son anniversaire, son visage tendu est comme un masque modelé, celui dans une tragédie ancienne, ses yeux brillant de folie: on dirait un être occupé par le diable.

J'admire les jeux de l'acteur. J'admire en général ceux qui parviennent à communiquer leur état d'âme simplement avec leur air et regard, sans mots dire, et qui fait pour autant frissonner d'angoisse anonyme.

Au niveau du scénario, j'ai trouvé le déroulement d'histoire particulièrement naturel. Sur ce point, je pense à deux autres films: Paris, qui n'a pas d'histoires linéaires mais entrecroisées, et Le Silence de Lorna, meilleur scénario du Festival de Canne 2008. Ce meilleur scénario m'a déçu lorsque je l'ai vu l'été dernier, il a un sujet sensible certes, qui parle des affaires de mariage international payé pour obtenir la nationalité française. Toutefois, les petits tracas ne stimulent pas plus le spectateur, sans doute parce qu'ils manquent de force sentimentale, mais aussi parce que la fin du film m'a semblée assez banale: suspence de l'histoire. C'est trop facile de laisser l'héroine dans une situation de n'importe quoi et puis point barre.

Il faut dire que la fin de Deux Jours à tuer n'est pas extraordinaire non plus, et ce genre de sujet a déjà été traité en plusieurs reprises. Mais en même temps, l'important pour un tournage à nos jours, tout comme pour l'écriture, ne serait pas "qu'est-ce qu'on tourne" mais "comment", question de construction et de composition des histoires, des conditions et des idées.

Si j'insiste sur le mot naturel, c'est dire que la connection des faits est très fluide. Les malentendus et le sort maudit continuent à se succéder parfaitement, comme le destin l'a présagé, et ce qui permet d'imprégner les spectateurs dans les sentiments des personnages. Becker a surtout su utiliser la caméra pour rendre pleine une impression, protéger la vérité pour qu'elle reste dans le hors-champ et que les spectateurs aient un espace d'imaginaire et un moment de reconstruction des plusieurs parties de l'histoire: une approche bien traditionnelle, très littéraire d'ailleurs, au sens sémiotique.

On trouve déjà tant de signes dans les mots, dans la prononciation des mots et les sentiments qui s'y incarnent, dans les gestes. Dans l'accent aussi: un trucage identitaire facile à reconnaître. "Je me tire", crie l'homme déprimé, et part en bateau vers l'autre continent où l'on parle l'anglais. Ainsi, tout le plan où Antoine parle avec un homme devant un bistrot semble juste pour informer le lieu où se trouve le héros: on entend un fort accent ecossais, ce qui me surprend pendant 3 secondes, je l'avoue, car j'avais pris l'habitude d'écouter cet accent qui a marqué mon séjour à St Andrews et que je n'aime tjrs pas trop parce je l'ai trouvé bien théâtral et curieusement néfaste. "Irlande", est évoqué plutôt ce territoire-là dans les conversations d'Antoine avec le vieil homme qu'il rend visite. Ah bon. Je ne suis pas resté suffisament longtemps en Irlande pour savoir que les gens y ont le même accent que les Ecossais. Mais passons.

Le titre en est un autre point où s'aperçoit le charme ou la force des lettres. En français, Deux jours à tuer, en anglais, Love me no more. Une certaine contradiction se trouve entre les deux versions, et c'est exactement le même cas pour un autre film réalisé par François Ozone: Le Temps qui reste en français, Time to leave en anglais. J'ai connu ce film grâce au "Movie Night" organisé dans ma résidance de St Andrews, la différence des titres aurait provoqué un petit malentendu entre quelques amis anglophones et moi, avant que ça ne devienne une blague à en rire.

Toute explication est inutile dans le film, voire interdite par Antoine lui-même. Les choses se révèlent au fur et à mesure et semblent le faire automatiquement. On a compris seulement à la fin du film qu'Antoine aurait osé communiquer à sa femme son petit secret, son germe de folie son mal, dans le jeu d'enfant, dans un échange de clin d'oeil simplement...Et je regarde le visage de cette femme derrière le vitre, je me dis qu'à sa place, je mourrirais de mal au coeur, un mal que je crois avoir bien connu et que bien des femmes auraient connu.

Plongée dans l'idée même, j'ai entendu surgir une voix rouillée qui résonne en monologue. J'ignore de qui est cette voix. Je me dis que ce devrait être la voix de Becker, vieilli, qui a vécu toute une vie de cinéma et à qui l'on devrait rendre le respect. Si c'était moi qui tournais, je réserverais sans aucune doute ce moment précieux de noir pour moi-même, pour crier et interroger moi-même: comme intitulé.

(l'article commencé le 05/03/09)


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