29/03/2009

Lao Wang et les 35mm

C'était la première journée de la projection de presse. les journalistes à pékin sont gâtés parce qu'aucunes des trois autres villes du festival n'offre ce service à leurs journalistes. A Pékin les journalistes peuvent voir les films qui les intéressent parce qu'il y a un petit cinéma à CCF.

C'était la première journée de la projection de presse. On aidait Lao Wang à ranger les bobines dans le cabinet de la projection: là où se trouve, vue de la salle de cinéma, une petite fenêtre sacrée à travers de laquelle se projette une lumière blanche sur le grand écran.

C'était la première fois que j'ai vu de mes propres yeux les bobines de pellicules. Elles sont très lourdes, chacque film a en moyenne 5-6 bobines qui pèsent un peu plus que ma valise de 20kg. Dedans sont les films en état originel, sur les pellicules de 35mm, ou de 16mm pour les courts métrages, demeurent les images et les sons, les soutitres chinois récemment gravés dedans.

J'étais émerveillée. Je ne voulais pas quitter le cabinet et je restais voir Lao Wang projeter le film. Lao Wang me montra la grosse machine. Tiens, ça, la machine de la projection. Un immence système, dis-donc!

Tout est en chaîne. Là- haut, le pellicule rentre, s'y jette la lumière très forte, (il faut vraiment que ce soit très fort), pour projeter l'image sur le grand écran. En bas, un petit organe qui analyse le son, le transmet jusqu'à l'autre grosse machine dans le coin pour que le son se produise. Voilà le secret.

"C'est de la technique de pointe, tu sais. Au début on avait pas ce genre de machine, on avait une machine des années 30s et 40s; ça évolue au fur et à mesure...Les pellicules étaient de mauvaises qualités et parfois, s'ils sont bloqués là-haut, et que la lumière y restait, ça brûlerait." J'étais épatée. Je me suis rappelée de ma visite du musée à la cinémathèque de Paris. C'était en voyant les différentes sortes d'anciens cinématographes, en expérimentant les jeux visuels, que j'avais compris tout d'un coup que le cinéma est une véritable industrie, dans laquelle le mécanique est l'un des primordiaux.

"Au début...vous avez toujours fait la projection?"
"Ca fait plus de 20 ans que je suis là, tous les soirs, à projeter les films!"
"Ah!!! Combien de films vous avez vu donc!"
"Aïya... t'imagines, hein, 20 ans, ça veut dire quoi, ça veut dire que, tout compte fait, le moment où je mange avec la famille ne dépasserait pas un an en total!"

Voilà la différence de la logique. Lao Wang dit qu'il a été dans le petit cabinet de projection du cinéma du centre culturel français depuis 1987, si sa mémoire est bonne. Tout a existé donc depuis plus de vingt ans. Quelle ignorance pour ma part, moi qui croyais que ce centre n'existait que depuis fin XXe siècle. Et depuis plus de vingt ans sont projeté les films en pellicules, les 35mm ou 16mm. Les pellicules qui ont marqué la vie de Lao Wang qui devient l'homme de la projection, sous la main de qui sont passés je ne sais combien de films et combien de genres de films.

Les 35mm, d'abord c'est cher, ensuite c'est de vraies images. Mon collègue documentariste m'expliqua: tu sais, les pellicules, c'est du mercure. Quand on tourne, ce qui se produira, c'est la réaction chimique: les images s'y gravent dessus pendant que la surface du pellicule est relativement rongée, d'où l'effet de la profondeur du champ. (En numérique les images se voient bien plates, il est vrai). Si tu le regardes horizontalement en le mettant au niveau de tes yeux, tu verras de minutieux reliefs sur le pellicule.

Les images des films tournés sur les 35mm sont donc réelles, c'est-à-dire qu'elles existent, ne sont pas virtuelles comme celles en numérique, dont la vue se réalise suite à un jeu de composition optique; ne sont pas les fameux simulacres mais les "copies" selon la théorie de Baudriard le nihiliste.

Et sur chaque "copie", sont enregistrées un énorme nombre de photos qui tournent à une vitesse de 1/??? par seconde pour produire les mouvements sur l'écran et pour faire croire qu'une histoire y est en train de se passer.

Au final, le cinéma, pour certains, c'est l'alchimie des visionnaires. Un véritable art. Pour d'autres, tourner un film ne se dira plus, se dira tourner 5G d'histoire par ex, ou tourner 10 piles, dans je ne sais combien d'années où les pellicules auraient tous disparus. Pour d'autres encore, le cinéma n'a jamais existé; ce sont simplement les séries de signes de spectacles.

Pour Lao Wang, c'est simple, le cinéma est les bobines, la machine, les lumières, une salle obscure devant lui, la petite fenêtre d'où il peut regarder vaguement les films, un cabinet de projection, de belles besognes.

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