(copyright du T-shirt: C-PIX)
Lorsque le taxi s'arrêta à la station au sous-sol de la gare de Shanghai, que mon père m'aida à descendre la grosse valise et celle moins grosse, un garçon mince et petit, portant un gilet bleu, fut venu vers nous avec un chariot de taille standard : qui m'a ravie.
Parce que, à vrai dire, quand je bourrais ma grosse valise de 30kg à la maison, la même qui m'a accompagnée à chaque fois que je changai de lieux du séjour en Europe, ce dont je me préoccupais, c'était de bien organiser l'espace pour que mes affaires y rentrassent et que la valise pussiez être fermée: vêtements au sac sous vide, discs décoffrisés, livres nivelés, pulls roulés, chargeurs insérées dans les coins, chaussettes qui remplissent les lacunes. Même pas la peine de la peser quand on voyage par le train.
J'ai été pourtant bien en peine pour déplacer la grosse et carrée. J'ai eu tort de ne pas avoir pensé comment on se débrouillerait avec les grosses valises quand on voyage par le train en Chine. Mais vous parlez de quoi? Hé bien je parle des escaliers. S'entend, les escaliers. En Europe, let me see, à chaque fois que je descendis du train, je me réjouissais du platform lisse et plat qui se connecte directement avec la sortie, et sur lequel je roulai mes valises comme promener un couple de chiens domestiques qui traînent mais qui n'embêtent pas, ce jusqu'à la sortie de la gare. Comme j'ai pour la plupart du temps 20-25 kg, je prends le métro quand il y a le métro dans la ville et que je ne suis pas pressée. Et devant les petits escaliers, comme ceux dans les stations de métro parisien, les gens viennent toujours aider. Toujours on s'arrange sans difficulté avec les coups de mains, la terre lisse et les escalisers électroniques.
Sauf une fois, lorsque je quittai St Andrews pour retrouver Paris, sur le vol de la Compagnie Easyjet mon voisin parisien en mission à Edimbourg et Glaskow m'a fait un service généreux en proposant qu'on prenne ensemble le RER pour Paris, ainsi s'est-il occupé de la grosse 20kg de Charles de Gaules jusqu'à Bastille où je descendis et que l'on se quitta. Ce bon gentileman, devenu plus tard un bon ami, a dû monter et redescendre deux fois la grande valise parce qu'il s'est trompé de sortie pour changer les lignes; en haletant il s'excusa encore pour sa mauvaise mémoire et pour notre énergie inutilement dépensée, tandis que moi me sentais coupable d'avoir accepté son aide.
Il arriva les moments que je voyageais avec la grande bourrée de 30 kg, en plus de sa petite jumelle et mon sac à dos. Par le train, c'est ça. C'était le voyage Paris-Bergamo. Je me laissais alors impressionnée par les hommes qui venaient aider. Pour l'accès au train, il m'a suffit de prendre un chariot de location pour me décharger; puis, à l'arrivée de la gare de Milano vers 20H45, je trainais mes bagages ici et là, demandant vainement où acheter le billet de train pour Bergamo, départ dans 20 minutes. Une fois que j'ouvrai la bouche pour tenter l'italien, je me crus en train de prononcer le français: ce qui ne marchait pas, ça a été dit; et que je ne comprenais même pas ce que voulait dire "là-giù! Giù! Giù! "(ie là-bas. En bas)que l'homme italien me disait en brassant de l'air avec son bras. "Sinistra? Destra? Vicino qui??"(ie à gauche? à droite? près d'ici??), j'expérimentais les pauvres mots d'orientation que je retenais par coeur, mais évidemment, Sésame n'irait pas m'ouvrir la porte car le code n'était pas bon, ça se lit dans le sourire gentil et non approuvé de mon sauveur du moment.
Alors que je faisais encore les efforts sur la langue, lui, tout d'un coup, il prit la grosse valise sans mots dire et fila, me jetant un coup d'oeil. Suivre! Il m'a ravie avec ce geste brutal notamment parce qu'il m'a fait débarrassé de la valise sans laquelle j'aurais pu courir toute la gare pour trouver la billetterie par moi-même. On descendit l'escalier électro, tourna à droite et "Ecco-la!" J'achetai vite le billet du dernier train pour Bergamo à la machine automatique. Je le remerciai. Je me demandai s'il ne regrettait d'avoir pris par hasard le bagage dont la lourdeur l' aurait étonné, tandis que lui, encore sans un mot, reprit ma grande valise et me racompagna jusqu'à là où on était, vers l'accès du train. J'étais alors dans les nuages lorsqu'il dit ciao buona serata, me laissant un sourire charmant, en admirant lequel je me crus avoir rencontrer un angelo.
Marchons, marchons...
Tout ça pour dire que, sans la terre lisse et plate, l'escalier électro, les mains qui aident et le chariot, je ne pourrais pas imaginer comment me déplacer avec mes bagages; et que les nombreux escaliers seront assassins de la voyageuse, pourtant bien en forme au départ.
Les escaliers. Les longs escaliers, les longs escaliers électroniques et immobiles dans le métro de Pékin, Station Gare de Pékin, puis Station Jianguo Men...ah, j'accuse! Les escaliers électro ont été là pour les JOs mais une bonne partie en est en grève, ou pose. C'est alors pour l'économie environnementale, dirait-on? Quelle drôle de logique des décideurs urbanistes. Et puis, je le sais, l'escalier épagne l'espace au large et augmente celui en hauteur. Ca convient aux gares et stations chinoises, à la Chine qu'il est bien de comprendre. Au moment du départ de l'appartement, moi qui me sentais satisfaite de mon rangement de valise puisque tout y est rentré dedans, me souvenai tout d'un coup du moment où je montais les escaliers, bagages à la main, dans les underground pékinois, la dernière fois que je m'y rendais: un petit moment de cauchemar. Ca ne va pas être facile cette fois, me dis-je. Et l'insouciance paie.
***
Voilà, le gilet bleu est venu vers nous, avec le chariot de taille standard, les mains prêtes à aider: "Veux l'accompagnement? "
Mais attendons. On n'est pas en Europe. On est en Chine. Il faut plutôt dire Shanghai. Dans une société en plein essor de l'économie du marché, on attend rien de gratuit. Rien. Le gratuit, ce pourrait être faire goûter, essayer de consommer, bref, créer la demande pour stimuler l'offre. Tous retiennent par coeur le principe de l'égalité des échanges et essaient d'en trouver les moyens propres.
Ce gilet bleu, avec les mots de marque en chinois et en anglais, ça a l'air quand même plus professionnel et confiable que les figures qui, un petit porte-bagage à la main, hantent à la sortie des métros autour de la gare, soufflant à tous ceux qui sont chargés de bagages: veux l'accompagnement? Comme si c'étaient les poudres à transporter.
Il faut dire que, le gilet bleu, ça tombe bien. Je ne peux confier à mon père cette grosse valise qui risque de nuir à sa santé, je ne fais pas trop de confiance non plus en moi-même pour monter et redescendre, fût-ce en une seule fois, les deux valises grande et petite un sac à dos en plus de celui de mon ordinateur.
"Combien ça coute?" C'est moi qui demande. Il faudrait prendre les initiatives, direct, épargner le temps, poser la question, clarifier les choses, éviter d'être dupe du non-dit.
"La grande plus la petite, bien installées jusque dans le train, ...50 yuans."
"Quoi?!" 50 yuans, je ne sais ce que ça vaut aujourd'hui, mais il y a deux ans, ça vallait un aller-simple Shanghai-Nankin. Aujourd'hui ça vaut un aller-simple station de taxi-wagon de train, et c'est que pour les valises. C'est bien, on fait sans cesse des progrès.
Avant que je n'essaie de négocier le prix, mon père dit tout de suite bon bon, que tu le suives, ne te fatigue pas trop, et sort son argent. Ce n'est point son genre de consommer de façon aussi généreuse. Au contraire. Et moi, en revenche, je ne peux le refuser. Si je refusais, ce serait de nier son rôle de père, de nier que lui, père, puisse encore aider. Ca lui aurait blessé, je le sais, voire que ça se sent dans l'air, bien que l'apparence reste la même.
Je me contente alors de poser mes bagages sur le chariot et d'attendre l'heure de l'accès au train, looking forward to the service. Quelques pas plus loins à l'autre côté de la piste, il a descendu mes affaires dans une mini-zone de dépôt-bagage près d'un petit pavillon, guichet du service des gliets bleus, et me demande de patienter avant d'aller chercher d'autres clients.
Durant ces trentaines de minutes d'attentes, j'ai pu découvrir un peu leur travail et discute avec l'homme des cinquantaines qui reste dans le petit pavillon en tant qu' administrateur-comptable. En dessus de sa tête, sur le panneau d'indication du travail se lit:
...
Accompagnement dans la salle d'attente, 5 yuans/petit bagage, 10 yuans/grand bagage;
Accompagnement dans le train, 10 yuans/petit bagage, 20 yuans/grand bagage.
Pour l'excédent des poids, l'ordinateur, etc, à discuter.
...
Mon gilet bleu a eu raison d'avoir doublé le prix, ma grosse valise en égale effectivement deux grands bagages. Et puis, je ne sais ce qui m'a pris, mais j'ai eu envie de discuter avec ce chef-secrétaire assez sympa.
Ca fait plus d'un an que la compagnie a existé, en collaboration avec la gare, me dit l'homme venu de l'Anhui. Et ces dixaine d'hommes, venus de tous les coins de la Chine, travaillent jour et soir, d'une horaire d'au moins 12 heures. "Et toi, tu viens d'où?" "Shanghai." "N'y ressemble pas." Je ris. On me l'a déjà dit. "Et pars à Pékin pour quoi?" "Pour le travail." "Ah, pourqoui? Shanghai n'est pas bonne? Tant de gens veulent venir!" Ah ya...je sais, ça aussi c'est déjà dit, ma foi, je ne sais pas trop expliquer. Je lui rends le sourire: "le travail, quoi, et qui m'intéresse."
La fondation d'une compagnie. C'est, en plus de la costume, un moyen efficace pour rendre professionnel des choses. "Pour que, en cas de problèmes, les gens aient un nom précis: pour se réclamer, par exemple." En effet, l'existence d'une entité est la moindre des choses. Quant au costume, ce gilet bleu, les bon apprentis pragmatistes semblent le considérer comme la peau: qu'ils peuvent dépouiller à tout moment sauf lorsqu'ils vont chercher des clients avec le chariot--que mon gilet bleu n'utilisera pas pour le
final transport. Ce doit être bien dur le travail, la vie se réduit en transport des bagages, fumer, rigoler, manger, rentrer dormir. Mais ce n'est pas la pire façon de vie ou de survie dans cette ville. Surtout en ce moment de crise, ce serait même une sorte de charité de donner à travailler les gens pour qu'ils aient de quoi vivre.
Le passe-passe habituel des gilets bleus: cibler les passagers avec de gros bagages, proposer le service, monter les bagages sur le porte-bagage, si possible donner le service, puis demander le prix. "Ah bon?! 120 yuans! Mais comment vous pouvez avoir ce prix aussi élevé et sans nous dire à l'avance??" devant le petit pavillon s'irritent un jeune couple descendant du train, ayant 5-6 boîtes et valises qui s'empilent sur le petit porte-bagages. "Eh bien, c'est marqué en haut.Voyez." "C'est aberrant votre attitude. Allons, nous ne payerons pas." "C'est d'accord, alors je vous raccompagne là où on était." Les trois personnes ne se disputent plus et font la demie tour pour remonter. Drôle de logique. Le travail est doublé alors que, sans un sou payé, tout le monde est content.
L'autre groupe de famille qui attend comme moi, membres de quatre personnes avec deux grandes valises et quatre petites, a enfin décidé de renoncer au service parce que le gars ne pourra passer via le passage privilégiant l'accès au train des passagers de couchettes moues. Ce n'est qu'au moment de leur départ que j'ai rendu compte qu'il y seulement l'homme d'âge moyen en manteau, ayant l'air
clerk et tout calme, qui part à Chengdu, disent les membres de famille. Voilà une des meilleures solutions quand on voyage seul avec un tas de bagages: les mains des proches.
Je regarde s'éloigner les trois membres de famille excités, père, soeur, fille de la soeur, et l'homme toujours tout calme et en qui je sens la solitude. C'est bientôt mon tour. Avec ce petit délai de découverte, mon préssentiment me dit qu'il ne faut pas attendre de ce qu'on a eu au moment de l'accueil, la plus superficielle des choses, qu'il faut continuer à être gentille mais qu'il ne faut pas oublier de se défendre, au cas où.
***
"Allons, c'est à nous." Mon gilet bleu réapparaît devant moi à l'heure dite. Bien! Mais on part sans chariot. Ni le porte-bagage parce que ma valise est trop large et c'en aurait être inutile. Peu importe, qu'il m'aide à arriver dans le train et ce sera tout. Lui tient la grosse dans la main droite, la petite à gauche, comme je fais d'habitude. Montée sur l'escalier électro. On se parle un peu pour être moins gêné par le silence. Entrée dans la gare, contrôle de sécurité...et en redressant mon grand bagage renversé par terre, il en a déjà marre. "Mais Miss, c'est lourd ton bagage, dis-donc!" "Ah c'est sûr! Sinon je n'aurais pas besoin de ton service." "Tiens, tu peux pas prendre la petite?... Ca y est on y va." Je préfère sincèrement que je prenne la petite, d'autant que ce n'est pas très difficile à la porter même s'il faut monter l'escalier. En plus, je ne vois vraiment pas qu'il puisse tenir longtemps avec tous les deux bagages. Et puis, mon auto-service rend moins capitaliste l'affaire dans son ensemble, et soulage ma mauvaise conscience de trop.
Montée au deuxième étage des salles d'attente. Celle de mon train est juste la deuxième à gauche. Très bien. "Mais tu vas où?" J'essaie de rester calme en voyant le gars continuer à arpenter et rouler vite mon bagage sans freiner. "Mais tu le sauras tout à l'heure", il m'a donné un clin d'oeil, "Suis-moi."
Je ne peux faire autrement. C'est alors que j'ai compris que ce genre de service n'a pas trop changé dans sa nature. On ne prend pas de piste normal. Mais pourquoi a-t-on besoin de raccourci? Honnêtement, ça ne me gêne pas de faire la queue dans la salle indiquée sur l'écran.
Le gars file encore mais commence à changer de gestes, tantôt il traîne, tantôt pousse. Je ris. "Mais Miss, pourquoi tu ris?" "Pour pas grand chose..." "Ah, tu vois, j'en peux plus. J'ai mal à la ceinture, hélas... je ne viendrai pas travailler demain, me faut une journée de pause!" "Allez, c'est déjà pas très loin tu vois, on y est presque!" Et le petit théâtre se joue encore, il me montre tantôt la douleur tantôt l'ennui, pour susciter mon sentiment de culpabilité d'être exploiteuse.
On tourne finalement à gauche pour entrer dans une salle moins grande. Il me dit de sortir le billet de train, le suivre rapidement et éviter de stopper. Ca rend nerveux quand on ne sait ce qui se passe et qu'il faut agir comme tel. Je vois une porte ouverte, je vois qu'il est déjà de l'autre côté de la porte avec mon gros bagage, je traverse et je suis stoppée par une femme en costume de gare. "Ticket? Sors le ticket!" Je montre le ticket. "N'importe quoi. Sors, sors!" Je suis poussée derrière, le gars n'en peut rien et refranchit la porte me rejoindre. "Mais qu'est-ce qu'il s'est passé?" "Zut alors, t'aurais pu me donner le ticket, moi j'ai déjà passé!" "C'est quoi comme l'accès?""Celui pour les vieux faibles malades et handicapés!" "Ah. Et pourqoui seule moi suis arrêtée, et le couple accompagné d'un autre gars de gilet bleu ont passé?" "Ils ont un bébé à la main!""Ah...""Et comme ils te voient une jeune en pleine forme..."
Je finis par comprendre l'histoire. Alors on a maintenant un seul choix, cher gilet bleu: l'accès normal. "Ah, je n'en peux plus, Miss." "Ah, c'est juste devant, on y sera bientôt! Allez!" " Je ne veux plus faire (le service)." "Humm...en ce cas j'irais me réclamer." J'essaie de garder le ton de blague. "Alors je te rendrai de l'argent et te raccompagnerai." grimace-il. Oh là, bon homme, tu ne connais sans doute pas le terme, mais tu le pratiquerais bien, le fameux
Nash equilibrium: un maître agriculteur décide de tuer son poulet. A la veille lorsqu'il donne à manger au poulet, il a dit l'indiscret: mange! Autant que tu peux, c'est ton dernier repas! Le lendemain il voit le poulet tombé et lit son testament: Ne pense pas à me manger, hihi, j'ai pris le poison pour les souris! Moi, je ne suis pas inoffensif non plus!/爷吃了老鼠药了,你们就别想吃爷了,爷他妈也不是好惹的!Histoire de chacun pour soi et de paradoxe du gagnant-gagnant du capitalisme. Le non-profit du partenaire A et B, ce serait bien le cas qui arrive le plus souvent. Mais je ne suis pas le maître qui tue. Toi non plus tu n'as pas l'air poulet. Enfin...marchons. Dans la salle d'attente, la bonne, le check-in a déjà commencé. On avance doucement dans la foule, je laisse composter le ticket par le contrôleur, le gars passe avec rien et sans être interrogé, s'occupant de ma grande valise. C'est le moment de la descente au platform. Durant toute notre petite aventure, pour une fois on se confronte...aux escaliers.
Les gens autour commencent à maudire la gare: inhumaine et immorale d'avoir gardé cette barrière artificielle où tout le monde rame. Après avoir descendu ma grosse valise via cette cinquantaine d'escaliers, Mon gilet bleu prend sa pose, m'attend, et dit: ça va Miss? Ca va, la Miss n'est pas vieille faible malade ou handicapée, qu'elle se débrouille. Il me montre ensuite le sourire complexe: "je ne t'oublierai pas Miss." "Non? Hé bien c'est tant mieux." L'intimité ne me plaît pas, voire me gêne, mais autant continuer à être léger quand il faut rester léger.
Dans le wagon de couchette il dépose les bagages pour moi. Je le regarde faire et pense à lui donner un peu de pourboire, sans vouloir provoquer sa sensibilité morale. Lui semble m'avoir ressenti, se retourne avant de partir et me dit: "Miss, donne (moi) un peu de pourboire?"
C'est bien. Avec la demande, les choses vont beaucoup plus faciles, et ça nettoie curieusement ma petite dose de mauvaise conscience inutile. Il repart pour servir d'autres passagers et moi, je vais m'offrir un bon sommeil de train, ce qui m'arrive assez peu, avant de me préoccuper de nouveau des bagages le lendemain matin.
***
Le bon soleil du nord m'enchante le lendemain matin. Avant que le train n'entre dans la gare de Pékin, l'homme en haut de ma couchette m'a déjà rassurée en disant qu'il devrait y avoir des "hong-mao-zi/红帽子/chapeaux rouges" prêts à servir au platform. Ah, "chapeaux rouges!" C'est alors que je me suis souvenue que j'ai bien lu ces mots, accompagnés d'un numéro de téléphone, marqués sur les colonnes du platform à Shanghai; or je n'ai vu personne portant le chapeux rouge, la veille sur le platform :c'est normal, les effectifs officiels ne travaillent pas jour et soir et c'est inhumain de les faire attendre tout le temps sur le platform.
Le train entre dans la gare et je m'excite à voir d'abord un chariot électronique ensuite plusieurs gars portant le chapeau rouge au platform, et chacun avec un chariot ou porte-bagage, les vrais! Le train s'arrête et l'homme de la couchette en haut m'aide à descendre les bagages du train. J'ai bougé une dixaine de pas pour appeler le chapeau rouge le plus proche: c'est un gars aussi mince, qui regarde vaguement les passagers qui descendent. Lui a un chariot. J'ai dû laisser ma grande valise et aller jusque devant lui pour lui attirer l'attention. "Urh...vous pouvez m'aider pour emmener les bagages, jusqu'à la consigne?" "Oui." "Et c'est combien?" "10 yuans pour la grande, 5 yuans pour la petite." "Vous pouvez juste prendre la grande? Je peux prendre la petite moi-même." "Oui."
La brièveté et la simplicité m'ont été inattendues. On se rend alors vers la sortie sans aucun souci, la grosse 30kg sur le chariot que le gars pousse vite en dépassant la foule. Le gars est très timide, le regard fuyant, et j'ai eu juste l'occasion de savoir que, comme à Shanghai, ça fait plus d'un an que le service existe.
Le guichet est cette fois située à l'espace étroit des deux colonnes à la sortie de la gare. Le gars s'arrête pour me faire payer à une fille assise entre les deux murs devant une table, avant de me conduire au loin vers la droite. "On va où?" "A la consigne." "Mais c'est pas dans la gare même?" "Là c'est trop cher."
En parlant on est arrivé devant une consigne marquant en grand caractère "consigne-auberge nationale/国营寄存处-旅社". Le concièrge, d'un accent admirable pékinois qui communique la gentillesse, m'a demandé 80 yuans pour le dépôt jusqu'au dimanche où je vais devoir déménager. C'est le prix le moins cher, me dit-il, dans la gare on m'aurait demandé le double. Et rassure-toi, sans faute, ça fait une dixaine d'années qu'on est ici.
Alors que le concièrge est en train de ranger ma grande valise, le gars dit Maître Li, j'y vais! et se retourne, disparaît dans la foule de la gare. Je n'ai même pas pu lui dire merci, sans parler de pourboire. Ce mélange de réserve et de droiture, nordique si j'ose dire, m'attire et me touche facilement. C'est un bon commencement, me dis-je en me rendant vers l'accès du métro pour retrouver la chambre qu'une amie de lycée m'a laissée pour le séjour avant le déménagement.
(billet achevé le 8 fév 2009)