19/04/2009

Sur ta joue ennemie, l'empreinte d'un baiser peureux


J'ai fini ce film il y a quelques semaines avant l'arrivée de la délégation, à la hâte et sans savoir comment en parler: durant tout le spectacle, j'ai senti la nébulosité des faits. Une espèce de brouillard existe dans tout le film.

On ne savait pas que la jeune femme poursuivie par l' homme sortant de la prison était la soeur de ce dernier. On croyait que c'était une histoire de coeur, remplie de séduction et de pulsion sexuelle. Les jeux se jouent tellement bien que, même si les paroles nous dévoilent leur relation fraternelle à un certain moment, la suspicion ne s'efface guère, et l'on croit que l'hystérie pourrait venir aussi bien du crime que de la passion amoureuse.

L'aspect de la sexualité semble être inattendu pour Jean-Xavier : "au début je savais pas, et lorsque j'ai vu ce qu'ils ont joué, je dis: ouh lala...:)" Pour moi en revanche, la sexualité improbable entre la soeur et le frère est bien un succès, c'est un plus presque nécessaire car cet aspect brouille la perception facile, complique les émotions et empêche le jugement efficace. Notons d'ailleurs que l'inceste est un sujet aussi tabou que celui du meurtre au sein de la famille.

Si l'on parvient à comprendre que la pulsion émotionnelle n'est pas à cause de l'amour sexuel, il faut attendre encore un petit moment pour que l'insupportable meurtre de l'adolescent d'alors soit remis en cause après ses 15 ans de prison au début de sa liberté conditionnelle, et que les questions se posent, que la tension tienne entre l'expulsion et le traumatisme.

L'explication du crime d'enfance ne se trouve pas, au lieu de donner la bonne réponse (comme l'a fait maladroitement le scénario du Il y a longtemps que t'aime), le film interroge, et représente la réconciliation tendue et momentanée entre le frère et soeur. L'amour et le déchirement se mèlent, d'un côté la soeur aide le frère à se confronter au crime qu'il a commis et à en trouver une raison, de l'autre, le frère essaie de sauver la vie foutue de sa soeur, la seule personne à laquelle il tient dans ce monde. S'aperçoit une sorte de grâce entre les deux, au sens presque religieux.


La clôture de l'histoire se transforme en un drame, qui surprend, et dans lequel se poursuit le ton général du film, celui de l'abandon et de la fragilité. Le frère qui a fait un doctorat de philosophie dans la prison, est allé faire un crime délibéré dans une librairie où il a récité par coeur les auteurs dont les noms m'échappent: afin de retourner dans sa vie emprisonnée, de laisser tranquille sa soeur et le bébé à voir le monde.

Pourquoi faire ça? Demandent certains journalistes. Le réalisateur répète donc que ce film, inspiré d'un fait divers dans un journal, n'est pas pour donner une explication qu'on ignore, mais pour traiter la relation complexe entre le frère et la soeur. C'est exactement sur ce point que j'ai rendu compte que ce film est profondément humain. L'humain, c'est présenter une vision complète du bien et du mal, un regard égal envers le criminel et sa membre de famille, c'est essayer d'être sincère et honnête. La complexité est la nature de l'être humain, en effet, tandis que les moeurs font les catégories suivant le bon fonctionnement des sociétés. Et le droit? Est-ce l'envers de l'humanisme? (ou qu'il en est le bas côté, comme je l'avais interrogé?)

Une scène m'est survenue dans la tête lorsque je discutais avec le réalisateur : celle du vertige du frère sous la grande lumière du jour, lorsqu'il s'étend sur une chaise à la station du ski. La caméra tourne et monte, éloigne le jeune homme comme si elle avait envelé quelque chose en lui; une lumière blanche et violette couvre son visage.

Je demande comment il a conçu cette scène. Il dit que si tu veux vraiment le savoir, ça vient de Camus. "L'Etranger?!"le titre m'arrive comme un déclic. Il affirme: le grand soleil, le vertige sur la sable, le tir aveugle. L'absurdité. Tout d'un coup je crois avoir compris mieux que jamais ce film, l'aspect irrationnel qui est proche de la vérité des choses. Il dit qu'il aime beaucoup Camus, je dis que l'Etranger est l'un de mes livres préférés: "Aujourd'hui, maman est morte, ou peut-être hier, je me souviens pas...("je ne sais pas" plutôt, selon le texte original)" "Voilà...la douleur enfermée à l'intérieur...forte mais qui ne... sort pas...Sans pleur...sans bruit..." Et un état étrange, isolé, en dehors de là où il vit. On se comprend.

Enfin, découvrons le titre. La version chinoise est traduite de l'anglais "Welcome Home" qui ne plaît pas à M. Lestrade. Un titre, c'est essentiel et intentionné, pourtant les Américains ont cherché probablement à être efficace, et les Chinois les ont suivi. Un autre anti-exemple: l'une de ses oeuvres précédentes, celle avec laquelle il a accroché un Oscar du Meilleur film documentaire, s'intitule "Un Coupable Idéal" en français (parce que le garçon noir innocent est un coupable fabriqué par la justice locale), et est devenu "Murder on a Sunday Morning" dans la version en anglais puis en chinois. Nom de Dieu, ça désarme le titre.

Cette première fiction du réalisateur s'intitule "Sur ta joue ennemie": l'évidence de la difficulté de traduire. Parce que c'est une phrase de poésie mallarméenne qu'il a découverte par hasard lors de sa réalisation, et que le hasard contribue à la révélation des ineffables.

Dit: "De ce blanc flamboiement l'immuable accalmie."


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TRISTESSE D’ÉTÉ

Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l'or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l'encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.
De ce blanc flamboiement l'immuable accalmie
T'a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l'antique désert et les palmiers heureux ! »

Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l'âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas !

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s'il sait donner au coeur que tu frappas
L'insensibilité de l'azur et des pierres.

Stéphane Mallarmé, Du Parnasse contemporain





Jean-Xavier à l'interview avec ICS(International Channel of Shanghai)


La patronne m'a demandé d'arrêter d'appeler Lestrade et de l'appeler soit M. Lestrade (ou M. de Lestrade, je ne sais plus...), soit Jean-Xavier, soit Jean-Xavier de Lestrade. J'ai préféré de l'appeler Jean-Xavier.

Jean-Xavier a fait le droit avant de faire le journalisme et les documentaires. Le droit, comme la philo, sont devenus pour moi deux disciplines sacrées, et les gens de ces deux disciplines que j'ai rencontrés jusque là sont presque tous très charmants et cultivés, intéressants de discuter avec, et, comme Jean-Xavier, ont un regard calme et rassurant.

J'ai fait la traduction pour Jean-Xavier dans son interview avec l'émission Pin·Wei(品·味)du SMG(Shanghai Média Group, ou bien, selon une collègue française, la marque d'un yahourt sans matières grasses:))). Les questions posées par le producteur qui est un critique de musique que j'admire, sont selon Jean-Xavier les meilleures qu'il a reçues durant ce voyage en Chine. Dans cette interview, il a pu parler des essentiels. Il a parlé du fonctionnement de la justice, de la nécessité de la diversité et de l'ouverture aux autres. En répondant au producteur, Il dit qu'en effet, pour faire les documentaires, les principes de l'observation sont la logique, l'exactitude, l'humilité, et qu'en plus, il faut ajouter la tolérance. J'ai été heureuse d'avoir suivi cette interview.



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