08/10/2009

La danse de bal

(Photo: salle de danse de bal- ii)


C'était le 6 octobre.

J'avais demandé plusieurs fois à ma tante, peux-tu m'emmener à une salle de danse que tu fréquentes? Idéalement, je veux aller visiter Paramount... Mais je sais que c'est cher et qu'il faut avoir qn d'accompagnement. Et qu'est-ce qu'elle m'a dit? Ce sont les vieux qui se trouvent là et qui chattent entre eux, que veux-tu d'y mêler dedans? A moins que t'as qn d'accompagnement.

Par défaut, on a mis accord pour aller danser dans une salle de danse qu'elle fréquente, pendant les vacances.

Le 6 octobre, après-midi, la Salle Weiwei juste derrère Paris Printemps, facile à trouver, ne sois pas en retard!!

Ok, d'accord, mes jambes ayant encore mal, à force de courir sur le terrain du basketball l'autre jour, j'ai dit Ok tout de même, en pensant que ce serait l'unique chance pour aller découvrir une salle où dansent les gens de 40-60 ans : parce que si c'était juste pour danser, je choisirai absolument autrement la salle.

En arrivant, alors même que je rejoins ma cousine, elle m'informe dans un premier temps que l'on tombe mal, qu'aujourd'hui c'est une scéance spéciale pour que les gens d'âge moyen viennent danser en faisant la rencontre. Ah bon. Mais on peut toujours rester entre nous. Génial.

La salle n'est pas petite. Ma tante dit qu'elle est venue il y a une dixaine d'années, que c'est les amis qui lui a proposé de venir ici. Du style des années 1980? C'est chouette... Mais je me suis trouvée aussitôt effarée par la musique. C'est en live, ma foi, et en plus c'est la musique d'autre fois, les chansons de la période révolutionnaire! Un homme joue du clavier électronique, c'est tout à fait des années 1990. Deux hommes chantent à l'alternatif, plein de zèle et impossible de les arrêter même si leur voix sont franchement terrorrisantes et, je n'exagère pas, polluantes.

J'ai dû m'y accomoder, finalement ce n'est pas si mal de réviser un peu ces chansons que j'entendais, lorsque j'étais petite, dans les films au thème de la guerre: j'aimais bien ces films qui faisaient éloge à l'armée de la libération et j'étais souvent profondément émue par l'aspect héroique des histoires. Les chanteurs ont de bonnes mémoires car ils ont tout chanter sans un mot manqué dans les paroles, et ils ont presque tout chanter sauf l'hymne national.

C'est dans cette sorte de musique que les gens dansent. Ils ont l'air habitué et expériencé de saisir le pas en suivant la musique. Au début j'avais du mal à y croire, mais tant qu'il y a le rythme, c'est vrai que c'est toujours dansable. Le problème de suite est, quel rythme? et pour quelle danse?

Trouver le rythme pour telle ou telle danse, ce n'est que le début de la perte de ma raison. D'abord je me trouve peu sensible au rythme de ces musiques. Ensuite, même si l'on me dit que celle-ci est pour le rumba, (ah très bien je connais le rumba), celle-là pour les trois pas et celle-là encore, pour le Jitterbug, je me trouve un peu gênée car en observant les gens danser, je sens que ce que j'appelle comme rumba et ce que eux l'appellent, c'est complètement deux choses.

A expérimenter donc, en tout cas je n'y suis pas pour rester assise regarder les gens et subir de ce bruit désagréable. Ma tante a fait venir deux de ses compagnons de danse. Un monsieur de soixantaine, et plus tard, un autre de cinquantaine. Monsieur le soixantaine est très bon compagnon avec ma tante, ça fait des années peut-être qu'ils ont dansé ensemble, Cela se voit lorsqu'ils dansent un air aux pas vites, tout à l'aise, et en pleine cohérence. Ma tante, dans une veste scintillante, tourne un peu à la folie avec ce monsieur. Elle adore pivoter sur ses talons et laisser voler haut sa jupe, ce qui ne m'étonne pas même si c'est la première fois que j'ai vu son air tout ravi et son visage qui a fleuri.

Monsieur le soixantaine parle peu, me regarde simplement en souriant. Aucune discussion n'est possible, alors il m'invite à danser le rumba. C'est alors que j'aperçois que nous interprétons chacun notre propre rumba, que j'ai appris que leur danse ne fait pas partie de danse argentine mais celle de bal: 舞厅舞 (wu-ting-wu). Alors je bannis tout et essaie d'apprendre son pas de bal. Le monsieur danse mais ses pas sont bien confus, je ne peux donc pas bien imiter son pas. Impossible de suivre, d'autant qu'il ne dit pas les un-deux-trois-quatre, indispensable pour relever les cadences.

C'est avec ce second monsieur que j'ai retrouvé un peu la morale. Il m'a d'abord guidé pour un air de quatre pas. Je lui ai demandé ce que c'est comme pas de danse. Sous la lumière sombre et dans la musique bruyante, j'ai entendu vaguement sa réponse: pas libre. 自由步 zi-you-bu. J'en suis émue, et c'est là que j'ai compris qu'il y a quelque chose qui coule dans l'air de cette salle. Il m'a ensuite appris le Rumba de bal, en prononcant ensemble le un deux trois quatre, ça s'apprend vite en général puisque le pas même n'est pas compliqué.

Le reste du temps est pour s'amuser, se laisser inviter à danser, plutôt maladroitement au début mais de mieux en mieux si l'homme guide bien le pas. Il m'est arrivé une fois qu'un homme qui a l'air très businessman mais qui est moins vulgaire que j'imaginais m'invite à une valse de trois pas. La valse, c'est ce que j'ai appris à St Andrews, lorsque je suis allée une seule fois au salon de la danse. Un professionnel me guidait pour danser un air assez rapide de valse, en trois pas, à franchir largement le pas, et on parcourait toute la salle en se tournant en rond. J'avais un sérieux vertige à la fin à cause de mon anémie, mais c'était un grand bonheur que je ressentais de ce moment onirique, et très rare à la fois.

Le gentil businessman me dit, en dansant, que mes pas sont bons, mais il faut bouger le corps en haut et en bas, plutôt qu'à gauche et à droite. Mouvement entre le haut et le bas? Du genre parcours de Deng Xiao Ping, non mais qu'est-ce que je suis folle.

Tout au cours de ces deux heures de danse, une dame de plus de 50 ans comme biens d'autres se promène entre les gens, l'air sérieux, et font les notes sur un feuille. A un moment donné elle est allée parler au micro: c'est l'organisatrice de cette activité de rencontre-danse. A ma surprise, elle commence à prononcer les détails des infos des candidats. Moi je supporterai pas qu'on annonce d'une telle manière que Madame Delphine, 55 ans, de taille 1,65m, a un fils faisant les études au Japon, un appartement dans le district Hong kou, cherche un homme gentil et peu importe s'il n'a pas de maison ou qu'il n'est pas très beau / et le mieux et que l'homme soit beau et ait une maison et que ce ne soit pas très loin du centre ville.

A ma surprise encore, dans toute la salle, il semble que je suis la seule à être choquée par cette "ouverture" , alors que je n'ai rien à faire dans toutes ces affaires: je suis en même temps la seule moins de 30 ans dans la salle.

Ca y est, elle a annoncé toute information et ensuite, dit-elle, cette activité est organisée aujourd'hui, le 6 octobre, et puis il y aura une autre scéance, le 8 octobre. Tout à l'heure nous allons diner tous ensemble, si vous vous êtes inscrits, merci de ne pas vous absenter...hein... vous vous inscrivez, et donc vous devez venir.

Pourquoi ce genre de largos, cette pratique de communication sensorielle et d'espion amateur? Cet air dans lequel semble s'accroupit un secret quelqueconque? Se rendent-ils compte qu'à force du jeu, le paranoïa et la schizophrénie atteindront tout le monde? Mais peut-être ceci est déjà le cas. Peut-être c'est juste que ces jours sont complicitement considérés comme journées de répétition pour eux. Peut-être c'est naturellement politique à la chinoise. Peut-être je suis encore gravement naive.

L'après-midi se termine en un moment de dischotèque. Alors ça veut dire que les organisateurs souhaitent que les gens se souviennent de la danse de disco d'autre fois. C'est tout à fait la scène de 1980, que j'ai connu à la télé, qui se produit. Lumières éteintes et commencent à se tourner les boules illuminées en couleur, les projecteurs d'une lumière fine et faible. Ma tante nous incite à aller dans la piste, ma cousine et moi. Danser librement, je le sais, mais comment, dans cette ambiance décalée? Je reste plantée dans cette lumière sombre, un peu ennuyée.

C'est là que j'ai rencontré un homme, habillé de noir, qui danse seul, son corps étant presque comme celui d'un danseur argentine professionnel: sorte de perfection. Je dis qu'est-ce que tu es en train de danse? Lui veut alors m'apprendre quelques pas de Jitterrbug. Il dit que quand tu danses dans la piste, les gens regardent et en parlent. Je dis Ah. Il me dit qu'il te faut lever la tête et regarder en avant, puis m'aprend les pas de base et prononce à haute voix les un deux trois quatre: comment bien bouger et poser le corps sur le pas de deux, où mener le rein sur le pas de quatre. De ses mains qui me tiennent j'ai ressenti une force impulsive et déterminée, qui soutient mon corps lors du mouvement, le tient dans l'équilibre qui évite de tomber, une force qui me plaît bien.

Il hurle presque dans ce chahut dissonant: les pas de base sont très importants! Il faut bien apprendre et pratiquer ces pas avant d'apprendre les pas avancés! (je le sais, les profs de danse argentine disent pareil)! Je lui souris, lui dis à haute vois: tu as enseigné la danse? Il dit qu'il est juste là pour se divertir. Il me crie ensuite, d'un ton plus grave et ralenti: " Tu sais, c'est très simple!!... Juste quatre pas, quatre!! ... C'est pas compliqué du tout!!... Et après, c'est l'homme qui te guide!! Et tu n'as qu'à le suivre!! ...Tu suis ses pas et tu y arriveras!!... As-tu compris??" Sur ces paroles, dans ses yeux grands ouverts, brillent alors une lumière forte et qui perce tout droite, m'a surprise voire légèrement bouleversée, dans ces musiques vibrantes, mais dont je n'ai pas peur. C'est le noirceur que j'y ai vu au fond.

Pendant deux secondes j'ai eu envie de pleurer. Sans blague, et je me souviendrai de ce choc fugace. Fait-il aussi partie des répétitions, dans qule monde je vis, et ses paroles... Je suis retournée vers ma cousine, l'air un peu perdu. Ma cousine me donne un sourire significatif, ma parle en douceur : vous avez davantage parlé que dansé alors...Bah...C'est tout ce que je peux prononcer.

A la sortie de la salle, je dis au revoir à tout le monde, je vais par là, à l'Alliance française pour les livres. Au bout de deux seconde, ma tante demande, Quoi? Et ses yeux parlent: say it again? Je dis je vais à l'Alliance française... Heu...c'est-à-dire le centre de formation de la langue française... J'attendais qu'elle me demandait ce que c'était. Mais elle a l'air soulagée et satisfaite. Ah d'accord, alors à bientôt!

Est-ce que le mythe de la langue française habite toujours le coeur de la génération des 40-60 ans? Est-ce que l'affinité et confiance en cette langue subsistent encore chez les jeunes d'aujourd'hui? En tout cas moi, j'aime, puisque, quoique compliqué, ça sonne tellement cantabile.



Libellé: in Fabula, Chine est-ce Chine

2 commentaires:

Oncle Bernard a dit…

Voilà qui évoque, de loin heureusement, le célèbre film de Sydney Pollack "on achève bien les chevaux"...

xiao-bob a dit…

Ce récit me fait aussi penser à un film, Le bal , de Ettore Scola, lus récent mais certainement plus difficile à voir maintenant que celui dont parle Oncle Bernard