30/12/2007

Fait beau

Le flux de silence dans la résidence.
La foule des fêtes, baignée dans l’ambiance.
Va traîner dans le monde,
Regarder.
Entendue le murmure.

La tramontane chante.
Le soleil rampe dans le corridor, sud-est.
Va allumer la danse des ailes migratrices,
Lire.
Devenue muette.

Je fais rien.
Je vais nulle part.

23/12/2007

Cadeau virtuel exceptionnel

J'entends partager avec vous Un cadeau de Noël exceptionnel que l'Université de Bergamo nous a envoyé. Je vous souhaite, vous qui venez me lire, de très joyeuses fêtes, de bouffes superbes, et surtout de bonnes humeurs! \o/

Je ferai une petite halte pour aller voir la dame de cognac. Puis je retourne travailler pour pouvoir quitter la France avec plus de placidité que l’année dernière. Je continue morceau par morceau mon récit (si je peux l’appeler un récit), du coup ça devient beaucoup plus long que je croyais...

En proie à India Song(ii) -Ce que devient la création

« La mendiante, c’est vrai ; le Vice-Consul, c’est vrai ; Anne-Marie Stretter, c’est vrai ; le Mékong, c’est vrai ; Calcutta, c’est vrai. La seule chose qui n’est pas vraie, c’est moi. Le problème depuis le commencement de ma vie, c’est de savoir qui parlait quand je parle et s’il y a invention, elle est là. » (Marguerite Duras)


Je vous remercie, vous, pour vos discussions sur ce que vous nommez comme blog littéraire. Ca m’avait bien inspirée.

Merci à Ben. Je savais pas que le rêve, c’était le désir. Et le désir, c’est « la construction d’une région, l’agencement multiple » : l’agencement des bribes, des styles, du mouvement entre l’en-deça et l’au-delà universels ; l’agencement pour une consistance énonciative certaine: multiplicité du concept, intensité de l’affect, représentabilité du percept. Un agencement comme tel, pour moi, c’est l’installation artistique. C’est la création du temps moderne.

Merci à Mart. Oui, la littérature, la vraie, comme le cinéma d’ailleurs, se fait par Nature. La littérature, par nature, c’est tout, c’est-à-dire qu’elle ne sert à rien. (L’inverse est la philo, la vraie, qui n’est rien et qui passe-partout) Elle n’a de sens réel que pour l’auteur, pour l’occuper et l’em-bêter ; elle n’a de sens pour l’auteur que PENDANT le processus de la mise-en-texte : achever un texte, c’est de le quitter : comme une mère quitte son enfant, un maître son apprenti. Et inversement.
Le rapport entre la Nature de l’auteur et la Culture n’est ni l’imitation ni la reproduction simple, mais celui d’une rencontre dans un lieu de Crossway. La Culture, la bonne (les citations par ex), sert de repère à la Nature pour que celle-ci se repère et se révèle dans un désert. La Culture est à passer par et à é-puiser, pour que la Nature décline son pouvoir et sa possession, qu’elle continue à avancer, avec spontanéïté et autonomie radicales.

Merci à François. Parlons donc du monologue. Le lieu du soliloque onirique est un espace clos, comme celui d’une cellule, à l’intérieur de l’auteur : ce qui se passe dedans, c’est le détachement de l’auteur des circonstances réelles, ainsi pert-il l’identité univoque puisque sans référence des codes sociales ; c’est sa renonciation à être au présent, devient-il alors intempestif, errant dans le passé et dans le futur. Ecrire, pour lui , est donc un «espacement du temps ».
L'écriture, l’authentique, n’est pas pour être lue, mais pour la connaissance et la survie de l’auteur lui-même. C’est le dialogue de l’auteur avec son ombre, c’est-à-dire son double. C’est une geste de l’impuissance.

Merci à Guillaume, pour m’avoir révélé la question du territoire. Un déclic dans ma quête de la nature du film-culte durassien et du cinéma moderne, déclic qui conduit à ce que le livre d’Image-Temps, « Histoire naturelle du cinéma moderne », a été écrit par Deleuze comme re-présentation/ re-inscription de sa théorie précédente. Déclic dans le trouvaille et les retrouvailles de moi-même.

* * *

La littérature, comme la création en général, c’est l’agencement équilibré de la fluctuation du tout-et-rien, du plein-et-vide. Celui qui crée, c’est celui qui sait qu’il va dire mais ne sait encore ce qu’il aura dit ; et ce qu’il aura dit, c’est-à-dire sa créature, n’est pas ce savoir, mais la ré-flexion et la ré-verbération du savoir. Un savoir bien-senti.

Je dois peut-être donner des exemples. Exemple simple : la mise-en-page. Un typographe ne va pas combler totalement la page vierge avec le texte, il réserve la marge. La marge, c’est la possibilité de la transformation du texte, c’est accomplir la vivacité du texte.

Exemple intermédiaire : Rousseau a-t-il tout dit dans les Confessions ?

Exemple complexe : Ah... dites donc ! Au début, je ne savais pas que je parviendrais à ceci : la convergence de Duras, de Deleuze vers l’acte de l’agencement. L’agencement, c’est le processus de la création. Et la Nature de ce processus, c’est ce qu’on appelle le Dao...

22/12/2007

En proie à India Song (i)- les Dépossédés

« La littérature fait du mal. Elle ne fait pas de mal aux autres,ni à la personne qui écrit, mais à celle qui aurait dû être.» (Marguerite Duras)


Il me possède, ce film. Chaque fois que le je revois, je me trouve désemparée à l’intérieur.

Oui, vous le comprenez sans doute. Bercé dans la mélodie d’India Song, on entend le cri du Vice Consul. Sublime, ce cri, qui transperce le pénombre humide du Calcutta désert, enveloppe le corps d’Anna-Maria Guardi, entraine le spectateur vers le désespoir. En vain de s’y échapper.

Cri d’Anne-Marie Stretter dans le silence. Un cri étouffé et étouffant, clos dans son corps qui tombe sur le piano, au moment du délire de Vice Consul. Inutile, la main de Michaël Richardson sur son épaule.

Oui, ce sont les dépossédés. Un lieu de la passion, de la douleur, du désir. Ce sont les déterritorialisants et les déterritorialisés. La désidentité.


J’ai trouvé par hasard la chanson d'India Song: ECOUTER . Sa parole se trouve ICI Pour ceux qui s’intéressent au film, je vous propose de lire CECI. Et ce DOSSIER regroupe bien des propos de Duras sur le film, la partie sur A-M Stretter me paraît assez pertinente.

* * *

Description du mémoire- Master Mundus Crossways

(Titre) India Song, Poétique d’un Cinéma Polymorphe

Le film d’India Song est tourné par M. Duras à partir de plusieurs de ses oeuvres littéraires. L’ambiguïté du genre et notamment la singularité de son tournage ont donné au film un statut hétérogène dans le monde du cinéma, qui méconnaît parfois la création cinématographique de Duras. Notre recherche envisage donc une étude sur la constitution du film : nous examinerons ses aspects esthétiques, établissant un univers poétique à la fois envoutant et lancinant, et nous analyserons ensuite les thèmes profonds qui se dégagent de cet univers. Nous essaierons enfin d’évaluer cette création durassienne comme processus d’une double « déterritorisation »: celle des moyens de tournage, qui quittent le milieu du cinéma de la représentation pour établir un espace « polymorphe » inédit ; et celle des figures principales, qui vont par-delà leurs circonstances réelles et se trouvent dans un lieu de la désidentité. Nous empruntons principalement des méthodes esthétiques et philosophiques pour nos analyses.

02/12/2007

Blog, ou boîte magique qui met le rêve en conserve

J'ai découvert récemment ce blog sino-francophone d'une jeune femme chinoise:
http://tong-toulouse.blogspot.com/2007_11_01_archive.html .

Les billets, sur les thèmes sociaux pour la plupart, sont écrits d'une vision interculturelle, d'un ton apaisé. Ils font réfléchir aux lecteurs des deux pays

Il parait que l'on a pris le même point de départ pour créer un blog : simulation et mise en conserve de nos rêves. Rêve d'être écrivain pour moi, rêve d'être journaliste pour elle.

Bonne lecture.

Après l’orage, le déluge


Avant le conflit de mercredi après-midi, on jouait l’innocent pour demander aux qq militants derrière les barrières ce qui se passait. On se demandait s’ils n’étaient pas saisis par qqch, car ils répondaient d’un ton extrèmement calme qu’ils devaient bloquer et continuer à bloquer.
Leur regard que j’avais capté me rappelait La Haine de Kassovitz.



* * *
Il faisait beau cet après-midi.


* * *

Celui que j’admire le plus pendant le mois de novembre, c’est le Président de l’Université. Il est resté neutre quel que soit le résultat du vote, il organise tout avec son conseil et fait des décisions étape par étape : mise à jour des communiqués et les arrêtés, information des votes et la consultation électro, appel à l’évacuation de la fac malgré l’agression personnelle la veille du ptit conflit, fermeture temporaire de la B.U pour éviter que la situation ne s’aggrave, puis vote au sein du Conseil d’administration : « Jeudi à 9hrs, consultation à la reprise des cours du Conseil d’administration de l’UPVD. Vote à l’unanimité. Reprise des cours à compter du vendredi 29 nov. »

Résultat immédiat du rattrapage : Confessions 1ière Partie + Rêveries, lecture en deux semaines pour mon exposé pré-dossier sur le thème de « se perdre »...Qu’on ne vive plus.

Au travail donc.

Apolitique, ET Mobilisé (ou Leçon de la Démocratie)

--... Bien sûr , le ET, c’est la diversité, la multiplicité, la destruction des identités...mais ce n’est pas une subsistance d’un primat de l’Un, donc de l’être...La multiplicité est précisément dans le ET, qui n’a pas la même nature que les éléments, ni les ensembles. (--G. Deleuze, sur J.J Godard)



"Je suis désolée, ils ont 236 de votes en plus que nous. Le blocage continue... Mais ne nous décourageons pas ! Nous insistons sur notre position, nous sommes apolitiques, ET mobilisés !" Ainsi déclara la représentante des dé-bloqueurs lors du vote pendant la deuxième semaine du blocage.

J’avais bien souhaité que le blocage disparaitrait comme ma fièvre inexplicable. Mais j’étais pas déçue. J’étais bien touchée par cette identification avec le ET, cette contradiction qui était pourtant une attitude assez juste. Assez juste, car quand la lois devient douteuse, la morale vient fonctionner à sa place.

J’étais de même touchée par les votes, par toutes ses démarches. Il y avait la passion dans les deux camps, mais le principe du vote, de la vérification du droit à la signature de la pétition, était respecté par tout le monde. L’ordre était maintenu.

28/11/2007

A...

A quoi ça sert?
A abroger la loi.

A quoi ça sert?
A revendiquer nos droits.

A quoi ça sert?
A nous mobiliser.

A quoi ça sert?
Rien. A bloquer.



Dépêche
(Reporter virtuel sans frontière mise à jour: le 28.11.2007 10:39)

La zone pédagogique de la fac de l'UPVD est interdite d'accès depuis 8 hrs ce matin. Tous les passages alternatifs, tel que la passerelle devant la B.U vers les Amphis, le boyau qui contourne la zone, le fossé enjambé par un pont de pierre, sont bloqués par une vingtaine de grévistes qui gardent le sang-froid derrière les barrières. Selon l'on-dit, les représentants lycéens seraient arrivés après-midi à leur appui. Une nouvelle Assemblée Générale était prévue à 14hrs pour le vote pour la poursuite du blocage/la reprise des cours.

Selon le communiqué mis à jour le 26 novembre par Jean BENKHELIL, Président de l'Université , une consultation électronique sur "Pour/contre la reprise des cours à l'UPVD" a donné le résultat comme 64,1% pour la reprise des cours, 35,9% contre, sur 1686 étudiants qui se sont exprimés.

26/11/2007

Hey, u’ve the Facebook ?

Il est dit que ce serait le « salut ça va ? » version anglo-saxonne : « Là-bas, une fois que t’ auras connu qn, ils te demande cette question. »

Quelle horreur.

Depuis cette rentrée, quatre de mes collègues rentrées de l’Angleterre, de l’Ecosse ou du Canada me parlent plusieurs fois, l’une après l’autre, de Facebook : pour avoir des amis, partager les photos, etc. Après avoir reçu plusieurs lettres d’invitation, je me suis dite que bon alors, tôt ou tard je serai dedans. Comme le blocage des cours continue, je peux gâcher un peu de temps pr le faire.

Les premiers deux jours après mon adhésion sur ce système m’a rendue presque folle, avec les « nouvelles » des autres qui surviennent à tout moment on finira par entrer dans un état de nervosité. Ce serait pratique pour se contacter entre nous en effet, de partager ou se faire partager les photos, de garder et de re-trouver qq très bons amis dans de différents coins du monde(ce qui me parait relativement sympa), ou pour recevoir par ex un boulot tombé du ciel(occasion aussi rare que d'y trouver un(e) mari/femme). Mais je trouve le reste absurde. Parler de tout et de rien sur le Wall pour que tout le monde le lise, cultiver un herbe en dessin, acheter quoi que ce soit avec de l’argent virtuel pour s’offrir des cadeaux(sauf si c’est pour les amoureux flottants : je parle de toi Andréa, je vois que ton chéri t’aime bcp)

C’est de se rendre fou et de mobiliser tout le monde à la folie collective, c’est la limite à l’infini, l’occupation de l’espace(dans le cerveau) et du temps. Et c’est ça l’essentiel :un capitalisme civilisé qui repousse sans fin la frontière visible ou invisible,(oui, je parle de Deleuze, je viens de lire un article de lui et ça m’inspire bien) le remplaçant de la machine de la guerre : rien de nouveau, ce truc, comme un carnaval, une foire, un festival cinématographique ou musicale (oui,là je parle de George Bataille et la Part Maudite!).

Nous étions dans la société de discipline, nous sommes entrés dans celle de contrôle quand il y a trop de disciplines et qu’elles ne fonctionnent plus(j’ai dit peut-être n’importe quoi), maintenant on s’efforce d’aller au-delà des contrôles(géo, surtout), et nous en passons dans la société de communication où les enjeux sont « l’entre », et l’étendue à l’infini (problème grave avec ma directrice et moi !Quoi encore, j’ai parcouru qq écoles de doctorat, toutes parlent du pluri-culturel. Ca me parait aussi absurde que le Facebook..).

Thérèse, pour sa sacrée recherche sur Second Life elle doit passer des heures et des heures y vivre le virtuel. Quelle misère ! Facebook n’est pas moins fort. Il est l’au-delà de Second life, c’est-à-dire celui de la vie et la société. Facebook crée la relation dans un tribu(souvent les nomades) constamment élargissant, en mettant cette dernière en bloc : « il faut emporter la fenêtre pour voir le paysage ». Voilà un insulaire à l’âge moderne.

Après l’impulsion physique, l’impulsion culturelle, arrive maintenant l’impulsion communicative. Derrière celle-ci, se trouve juste l’impuissance de la communication.

Tout, et rien...

20/11/2007

Gu Wen... et le Guqin!!

Une chose magnifique de l'Internet est qu'il permet aux bienveillants académiques de monter une grande quantité des textes (poésie, proses, romans, recueils, etc) de la Chine classique. De les lire dans n'importe quel coin sur la Terre serait un véritable délice. Dimanche dernier, j'avais envie de lire le texte de Ji Kang (poète, essayiste, musicien sous les Wei de Si Ma Qian, les théoriciens occidentaux ont écrit Xi Kang) sur le Guqin. Résultat: j'étais plongée toute la journée dans la lecture archaïque, me réjouissant du saveur idéographique.

Il y a bien des choses à en parler, mais j'aimerais vous proposer avant tout le site où j'ai trouvé des morceaux connus de Guqin (voir en bas), ce qui m'enchante infiniment. Cet "instrument des lettrés", dirait-on, incarne une Histoire et une théorie compliquées, qui se résument pas en deux lignes(je crois). En revanche, autour de cet instrument quasi-sacré, il existe bien des anecdotes touchantes qui permettraient de mieux le connaître. J'écrirais qch là-dessus.

Pour l'instant, deux articles me semblent pas mal sur le Guqin:
http://parisbeijing.over-blog.com/article-6050347-6.html#anchorComment
http://www.festival-automne.com/public/ressourc/publicat/1986chin/mcda094.htm (c'est l'un des rares sources officielles en français que j'ai pu trouver...)

Et pour ceux qui s'y intéressent, voilà le site où se trouve la musique qui aide à s'apaiser et à se concentrer (au moins c'est le cas pour moi), comme des soins spirituels :D
http://www.guqin.net/newweb/mqmq.htm
(colonne à droite, cliquez sur les caractères soulignés).

Pier Paolo Pasolini, ou le cinéma de la poésie

C’était dans le colloque sur le « Rire Européen » que j’avais vraiment rencontré Pasolini. Ma directrice avait projeté son court-métrage Che Cosa sono le nuvole ?/Qu’est-ce que les nuages ? Dans la salle obscure, j’avais le bonheur d’entendre de nouveau l’italien, et, à la fin de la projection, j’étais légèrement bouleversée, comme ce que j’avais ressenti en regardant India Song de Duras pour la première fois.
C’est comme ça que je justifie mon estimation pour des choses : un livre, un film, un discours, etc :de recevoir un effet électrique en moi, une résonance profonde et immédiate, à la fois émotionnelle et physique, ce qui ressemble, comme disait M.Girard, à l’état de l’orgasme.
Une pure affirmation, dirait-on, de l’échelle tellement instinctive qu’il me faudrait ensuite prendre bien des efforts pour les critiquer, analyser, juger.


J’ai pu voir le reste des films dans la même collection,dont Oeudipe Roi, tragédie grecque projetée dans une ambiance mystique, et des Oiseaux Petits et Gros, film philosophique imprégné de la théâtralité. Il établie dans ses films un espace de rêverie et de simplicité,diaphane comme le ciel méditerranéen, il montre un mélange extrao de la poétique et de la politique, une naïvté comique et déplorable comme caricature de la société, une nostalgie évoquée pour inviter à y plonger, à s’y identifier.
Tout cela me rappelle Jia Zhangke, je sens qu’entre les deux, il y a qch de partagé malgré l’écart temporel et la différence des circonstances politiques. Sans doute est-ce qu’il y a dans leurs films l’omniprésence de la poésie, dosée d'une défiance de la réalité qui les entournent: Passolini était d’abord un poète-écrivain, et Jia Zhangke fréquentait les poètes qu’il mettrait plus tard dans ses films. Ce serait intéressant de faire une comparaison entre les deux.


Je connaissais Passolini du nom, quand j’étais en Chine. Le seul film que je savais de lui était Salò ou 120 jours de Sadoma. J’avais acheté le disc sans le regarder pendant deux ans. J’en avais peur, bien que les deux garçons de notre bande-ciné club m’avaient assuré que ce que mangeaient les gens dans le film n’était pas les excréments humains mais la purée de chocolat.
Je crois avoir compris cela, cette horreur et souillure d’après-guerre, au bout d'un an de mes études européennes. Je crois avoir compris le cinéaste en lisant sa biographie : un homme déchirant, combattant et excentrique, trop lucide peut-être ;un homme devenu homosexuel, sans doute à cause de la lecture de Freud, qui éveille en lui l’âme grec longtemps endormi. L’homme qui finit par être déchiré, une nuit au bord de la mer, par un admirateur passionné :une clôture comme tragédie pure.(Et ce fait divers intéresserait forcément Duras...)

Dans l’entretien, je vois un bel homme qui parle le français à l’italienne. Un homme d’un air très calme qui couvre l’acharnement à l’intérieur. Cette sorte de contradiction est inhérente à ses films, comme d’ailleurs le cas d’India Song :la beauté extrème qui couvre la violence extrème, la passion dans le silence et dans l’immobilité. C’est là où les films deviennent oeuvres, séduisent et prennent force.


Générique du film des Oiseaux petits et gros:(Uccellacci e uccellini)

"-Dove va l'umanità? -Boh!" (Mao in una intervista a Edgar Snow) /
"-Où va l'humanité? -Bah!" (Mao dans l'entretien avec Edgar Snow)


Un pt épisode dans l'Evangile selon St Mathieu:

(Christ devenu marxiste, qui enseigne partout. Il se repose sur une chaise alors qu'un journaliste vient lui parler )
--Permesso la parola?/Je pourrais vous parler un peu?
--...Umm. Piccola intervista/ Umm...(juste) un petit interview.
--Che cosa vorrei sprimere su la votra nuova opera ?/Que voulez-vous exprimer sur votre nouvelle oeuvre?
--Il mio intimo...profondo...arcaïco catholicesmo./Mon intime...profond...archaïque catholicisme.
--Che cosa vorrei dire su la sociétà italiana ?/Qu'en pensez-vous de la société italienne?
--Il popolo più analphabéta, la borghese la più ignoranta del Europa./Le peuple le plus analphabète, la bourgeoisie la plus ignorante de l'Europe.
--E che pensate della morte ?/Que pensez-vous de la mort?
--Come marxista io non ne prendo considerazione/En tant que marxiste j'en prends pas de la considération.
--Una otima question : Que penseate delle nostre cineaste Fellini ?/Une dernière question: que pensez-vous de notre cinéaste Fellini?
--....Il danza...Si... il danza./Il dense...Oui, il dense.
--Grazie, complimente..Arriverata./Merci, félicitations...Au revoir.



Extrait de l'entretien réalisé dans les années 70:

(Q)--Est-ce qu’on peut dire que finalemnet toutes vos oeuvres, romans, poésies, films, expriment à la fois une grande joie et une grande souffrance à la fois ?

-- ...Alors je vous prie et je prie à ceux qui nous écoutent de considérer tout ce que nous avons dit comme un abili, une excuse pour dire qch. Si je peux le dire sincèrement, c’est une manière de production indirecte, c’est-à-dire à cause d’une certaine passion, d’un besoin d’être sincère envers vous, mais en réalité je n’ai pas dit ce que j’aurais voulu ni dû dire, et aucun d’entre nous n’y arrivera jamais. Les choses vraies, sincères, se disent rarement, peut-être dans un cas particulier, un moment d’ivresse poétique. Or ce n’est pas une sorte d’excuse irrationnelle, je ne voudrais pas tomber dans l’irrationnel d’ailleurs, car je crois que même ces instants de l’expressivité poétique qu’on vient de dire, est fondamentalement rationnels. Toutefois, ce que je voulais dire de ces films ou romans, est toujours vicié par certaines conventions médiatiques, sociales, culturelles.

La vérité vraie s’exprimerait peut-être seulement en termes, soit de la religion, de la philosophie indienne, ou de la poésie. Alors on peut dire que c’est qu’un prétexte pour moi, mais la réalité est que mes oeuvres disent de la joie et de la souffrance en même temps...Le poème que j’ai écrit dans l’enfance, une notion de « joy » emprunté dans la langue provençale, veut dire « d’extase, d’euphorie, d’ivresse poétique ». Cette expression est peut-être l’expression-clé de toute ma production. J’ai écrit pratiquement « l'ab-joy无 », c’est-à-dire au delà de toute rationnalisation de toute référence culturelle. Le signe qui domine mon oeuvre est la « nostalgie de la vie », un sens de l’exclusion et qui pourtant n’exclut pas l’amour de la vie.


Q : Quelle est votre difficulté du travail ?


--C’est tjrs très difficile de travailler. Il s’agit de prouver qu'on existe. O vincero o morir (Ou vaincre ou mourir). Toujours c’est comme ça. Toujours on risque de mourir.

Citations

Savoir, pouvoir, la connaissance et l’action

Pour moi, c’est la connaissance, non l’action, qui a le plus de valeur ; car la connaissance est l’affaire de l’âme, l’action celle du corps. Confucius a dit : « Savoir qu’on sait quand on sait, et savoir qu’on ne sait pas quand on ne sait pas, c’est là la vraie connaissance. » (知之为知之,不知为不知,是知也.) Savoir, c’est de la connaissance, mais ne pas savoir en est aussi. Alors que l’action a ses limites, la connaissance n’en a pas ; on peut venir à bout de l’action, mais non de la connaissance. L’action ne saurait égaler la connaissance, et cela personne n’y peut rien. Ce que la main ou le pied peut toucher ne va pas aussi loin que ce que perçoit l’oeil ou l’oreille ; ce que la mémoire peut enregistrer n’englobe pas autant que l’intuition ; la mesure prise par la balance ou la règle ne sera jamais aussi juste que l’évaluation (par l’intelligence) ; toute la beauté de la réalité ne saurait égaler la pureté du principe abstrait. (???...) Qui pourrait y changer quelque chose ? Si les lettrés pédants se plaignent de savoir sans pouvoir, c’est que leur connaissance n’est pas la vraie. La vraie connaissance est celle qu’on peut mettre en action à tout moment.
--Renxue(Etude sur l’humanité, achevée en 1896 mais publiée qq mois après la mort de TAN Sitong en 1898), 2e partie, in Tan Sitong quanji (Oeuvres complètes de Tan Sitong), Pékin, Sanlian Shudian, 1954, P.86. Extrait de Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Edi. Seuil, 1997.P.594.)


La précarité du langage

Nous ne sommes pas des êtres parlants, nous le devenons. Le langage est un acquis précaire, qui n'est ni à l'origine ni même à la fin car souvent la parole erre et se perd avant même que la vie cesse.»
--Pascal Quignard


Ce qu’on appelle « le créateur »

« Je trouve extrèmement drôle le mot créateur dans la langue française, en italien il y a le mot il creator. Et il creator, c’est Dieu...La création n’est jamais venue du rien. Il y a tjrs quelque chose derrière. On crée toujours à partir de quelque chose.
--Extrait d'un entretien avec un musicien sur France Culture


Pour une esthétique révolutionnaire

Le monde occidental est fondé sur le système de la représentation. « Représentation philosophique (la métaphysique platonicienne du Modèle et de la copie), politique(la démocratie ou représentation populaire), économique( l’argent représente la valeur réelle), etc. La représentation esthétique est le miroir, mais aussi le arant de ce système politique et social. (...) Toucher aux formes de la représentation est un acte révolutionnaire. »
(Camille Dumoulié, Littérature et philosophie. Le gai savoir de la littérature. Paris, Armand Colin, 2002, P.116. Dans le polycopié du séminaire Hétérogénéité de la poétique : Ezra Pound dans le Vortex)

* * *
« La beauté, sans doute ne fait pas les révolutions. Mais un jour vient où les révolutions ont besoin d’elle. »
–- A. Camus (Pierre-Louis REY, Camus, une morale de la beauté. Edi. SEDES, Coll. Questions de littérature)

* * *
« La beauté, c’est la justice parfaite. »La lumière de Midi éclaire, du zénith, le royaume des hommes ; symbole de beauté, elle sinifie aussi l’équité. Mais comme elle a la précarité de l’instant, elle cause dans le même temps notre désespoir. Aux yeux de Camus, comme aux yeux des Grecs de l’Antiquité, l’exigence de beauté est inséparable de la conscience du tragique de la condition humaine.
--Pierre-Louis Rey, Quatrième de Couverture de Camus, une morale de la beauté


L'ouverture bergsonienne :
« Les deux sources de la morale et de la religion: la fausse morale de la société close et repliée
sur elle-même, instinct d'exclusion qui mène au nationalisme ; la véritable morale, qui s'étend par principe à toute l'humanité: c’est la MORALE OUVERTE, un sentiment de justice universel. Chaque doctrine, religion ont deux directions du CLOS-OUVERT à l'intérieur, dont une seule est proprement morale. » (Dans un texte tiré du dossier sur Bergson, Magazine Philosophie, sept, 2007)


L’ère des poètes

« Les poètes, écrit Hölderlin, se révèlent pour la plupart au début ou à la fin d’une ère. C’est par des chants que les peuples quittent le ciel de leur enfance pour entrer dans la vie active, dans le règne de la civilisation. C’est par des chants qu’ils retournent à la vie primitive. L’art est la transition de la nature à la civilisation, et de la civilisation à la nature. » (Préface de René Char en 1965, dans Arthur Rimbaud, Poésies, une Saison en Enfer, Illuminations, Edi. nrf Poésie/Gallimard, 1999, p. 12)


Une maladie médiévale qui s’appelle l’amour

Andréa m’a parlé des documentaires pathalogiques espagnols qu’elle est en train de lire :
Rhages : défi de la mélancolie dans la forme traditionnelle de gallien : dans cette maladie, il incluait l’amour, lequel était considéré comme un terrible désordre mental, et pour lequel il recommendait plusieurs cures comme le jeûnes, marcher beaucoup, boire du vin et avoir des coïts fréquents. (traduit de l’espagnol par Andréa)

(A suivre...)

A la niche

Tu m’envoies une annonce, tu seras mon mari.
Rentre, ne t’en fuis.
Je reste assise.
J’ai dit oui.

Mais prépare-moi un foulard en soi
Couleur bleu turquoise
Et baisse ta voix
Pour que j’entende ma muse

Tu me pénétras
Je ne crierai pas.
Je te regarde.
Voilà.

14/11/2007

Je suis pas contre, mais...

--Etrange chose que l’homme qui souffre veuille faire souffrir ce qu’il aime !
(Alfred de Musset, La confession d’un enfant du siècle)



ACTE I--La grève alors ? Bah...

C’était moins chaud qu’ailleurs mais ça a été bien chaud.
Je contemplais les slogans contre CPE sur le mur, j’attendais et j’attendais, je vois finalement de quoi ça ressemble une grève d’étudiant.
C’est donc ça, les slogans bien sûr, et les affiches : les affiches d’un portrait unique du bon communiste dont la lettre patriotique et émotionnelle de la Résistance circule dans les lycées et les collèges. Quelques peu d’étudiants distribuent les tracts : « Contre la loi de l’autonomie, rejoignez le PCF ! » En lisant cela, je ne peux m’empêcher de rire à la baudelairienne. J’avais l’intuition que l’Italie était la Chine de l’Europe au niveau de la vie et de l’idéologie, alors que l’exubérance de la démocratie hexagonale côtoyait le modèle de la tyrannie extrême-orientale. Ceci ne parait pas faux.

--Vous êtes contre quoi ?
--La loi de l’autonomie !
--Ca veut dire quoi ?
--Les entreprises vont donner de l’argent à l’université et ça va la commercialiser, on perdra la fac !
-- ?? Ca alors...


ACTE II-- Le CONTRE des enfants du XXIe Siècle

Vous avez dit que c’est un trucage législatif, que c’est le résultat d’un vote soi-disant démocratique qui se déroule en plein été, c’est-à-dire à la période des vacances scolaires où le milieu universitaire ne peut se rassembler pour s’y oppser. Vous avez relevé le défi et vous faites la même chose, vous attendez jusqu’à la rentrée des master 2 et du doctorat, c’est-à-dire la période où tout le monde se retrouve à la fac, pour vous initierez tous à se mobiliser.
Vous avez donné l’exemple des facs canadiennes, américaines, où les grandes marques font la colonisation dans le campus. Vous avez dit que si les entreprises vous donnent de l’argent ça va périr l’indépendance de l’éducation. Soit. Mais vous n’avez pas besoin d’un peu d’argent pour améliorer les conditions d’enseignement ? Les étudiants de licence professionnel du théâtre, par ex, n’ont-ils pas besoin de matériels audio-visuel pour voir les films de Passolini ? (Allez écouter son entretien d’ailleurs, il parlera des gauchistes conformistes.) Vous dites ça comme si moi, chinoise, je vous disais qu’il fallait pas faire la grève parce qu’il y aurait la répression. Vous avez la tradition de la raison, mais vous l’avez rejetée en vous identifiant aux américains. Vous faites pas confiance à vous-même ni à la présidence universitaire. Vous ne voulez rien que le contre.
Vous appelez à rejoindre le communisme. Et pourtant il me semble que vous ne le connaissez rien que sur la lettre de Guy Môquet. Vous avez de la chance pour vous civiliser à prix bas et avec bcp moins de stress par rapport à beaucoup autres pays dans le monde. Vous vous satisfaites pas. Vous allez lutter contre un risque qui existe dans vos hypothèses sans tenter la moindre des choses, et pour cette raison vous allez bloquer la fac, arrêter les cours, bref, faire la fête : n’est-ce pas, ici vous faites appel de la grève en tant que tradition pour quoi que ce soit chaque année ?
Vous vénérez la génération des 68, je vous comprends. Moi aussi. Mais regardez le film de Truffaut, regardez l’archive dans Baiser volé, eux ils se défendent. Vous, vous délirez de paranoïa dans le confort qu’on vous a offerts. Je me demande si une grève ne se fasse comme ça d’ailleurs, que vous ne vous trompez d’objet. Vous êtes les jeunes Truffauts contemporains qui barbouillent le concervatoire cinématographique. Vous aimez la fac et vous la faites souffrir. Vous brisez les fenêtres, et la somme que l’Etat vous a promise pour l’instant ne suffirait pas pour les repérer. Vous allez occuper les bâtiments d’enseignement au lieu d’aller devant ceux des services gouvernmentaux. Moi, en tant que chinoise, je vous propose un moyen efficace, mobilisez-vous plutôt pour vous asseoir devant la porte des services : vous avez un gouvernement démocratique qui ne vous exposerez pas le char. Mais vous prendrez pas la peine. Vous vous contentez de crier ensemble et vous ne saurez plus sur quoi vous criez.
Il vous a fallu « de temps et de lieux pour vous retrouver, vous organiser et penser ensemble », écrivez-vous sur l’affiche de mobilisation. Et bien je crois connaître ce qui résultera, ce « penser ensemble ». Alors bonne pensée.


ACTE III- Sans foi ni loi

On m’avait dit un jour que la France est bien hypocrite, elle prétend pays laïque mais elle autorise les vacances des fêtes religieuses, et ça suffit pas, elle fait le pont. Ainsi les facs à Paris prenaient les vacances de Toussaints, après lesquelles tous les jeunes saints s’agitaient.
C’était Sharad qui nous a informé en premier des manifestations à Paris : les vacances terminées, sa copine qui venait de rentrer l’avait dit qu’elle n’aurait pas de cours car son département des études asiatiques, son Science-Po, et les Sorbonnes, étaient en grève.
Ici dans le sud, seuls les collèges et les lycées ont les vacances de Toussaints. La semaine d’avant le jour de la Toussaint, les salles des amphis avaient été bloquées, les chaises entassées. Mais notre cours s’est déroulé quand même dans la salle régulière encore libre d’accès, malgré le tas des chaises.
Alors que le quartier latin brûlait de nouveau, une assemblée générale a eu lieu le même jour comme prévu, à un lieu de rencontre de la fac de Perpignan. Information, débat et vote pour le blocage de la fac. Le lendemain, l’annonce du président de la fac: la suspension de toutes activités pédagogiques, selon le résultat du vote.
N’empêche que nous avons eu la première séance sur Rousseau. On m’avait expliqué qu’après l’annonce du président, c’est au prof de prendre la responsabilité de son cours. Je m’enchante de l’indépendance de l’enseignement. Pourtant le soir, mes voisins Mundus me racontaient : « tu sais ce qui s’est passé avec notre cours de M. Girard? Il y avait un groupe des gens, en dehors de l’université, qui étaient venus bloquer la bibliothéque de la section pour que nous ne puissions avoir cours. On pense à aller ailleurs, un café par ex, et ils nous aivaient suivis pour nous agresser ! Heureusement ils ne comprenaient pas l’anglais, et nous avons pris RDV pour avoir cours au centre ville dans un bar ! »
C’est donc ça, ce qu’ils veulent, occupation de la fac, abrogation de la loi, perturbation de l’enseignement, bref, contre tout.
Il paraît qu’on appelle ça l’extrême-gauche.


ACTE IV- Salut, tu t’es mobilisé ?

Vivement Sarko, homme de politique de talent qui a été pas mal inspiré des manières pragmatiques, seul il est allé trop vite comme la Chine et il redistribue les grèves : Après les cheminots ? Les étudiants. Après les étudiants ? Les fonctionnaires. Après les fonctionnaires ? Et bien joyeux Noël !
Mais tout le monde ne fait pas n’importe quoi. L’université est suffisamment humaine pour que la bibliothèque reste ouverte. Cette semaine il y a un peu plus de monde et, curieusement, un peu moins de brouhaha. Les quelques collègues françaises des séminaires, les Mundus, disent la même chose : ça sert à quoi donc, la grève comme ça ? Rien. Si la loi d’un pays était sortie puis retirée aussi facilement, alors pitié pour le régime de la démocratie.
L’assemblée générale a été bonne pour s’informer, puis on reste calme. Puis encore, d’après ce que Alex la perpignanaise avait dit : « Chaque fois il y aura les débats infinis et chaque fois ce sont eux qui gagnent : au bout d’un moment, on se fatigue et on s’en va, ceux qui restent, les mobilisés, et bien ils votent. C’est ce qu’on appelle le vote démocratique. » Umm, on dirait qu’ils ont pas mal appris de leur autorité parentale, en très peu de temps.
Hier il y avait une réunion pour qu’on se mobilise à la manifestation d’aujourd’hui, c’était midi, je me repose sous le bon soleil d’automne et je vois quelques visages d’un air confus sortis de l’amphi, une fiche à la main. Cet air ne me paraît pas étranger.
Détrompez-vous donc, vous savez ce dont vous en pensez au moins ? Ou vous vous mobilisez juste comme ça ? Moi je vous propose encore une petite lecture, celle des infos des dénonciations des présidents universitaires sur les agents hors de l’université qui incitent les étudiants, celle d’une annonce toute fraîche du président de la fac : la grève n’a pas pour objectif de perturber l’ordre de la fac, garanti aussi par la loi, de bloquer la fac, il ne faut pas négliger l’indépendance de la présidence universitaire ; la grève est pour exiger une somme plus importante d’argent pour que l’aide aux universités prenne de vrais sens. Voilà. Vous avez bien appris à faire les synthèses. Au travail donc.

Prologue
Ce matin, il n’y a plus d’électricité dans la résidence. Voilà la vraie grève, me dis-je, donc tant pis pour le café, et il m’a fallut mettre des torchons sous le frigo pour éviter le petit déluge. Mais le Crous a été suffisamment humain pour qu’il y ait de l’eau chaude et qu’on prenne une douche avant d’aller à la manif au centre.
Une nouvelle assemblée générale est prévue à 15hrs, cette fois le président a bien pensé à la rendre plus démocratique et plus juste : Reprise des cours à l’Amphi 3, Continuation du blocage à l’Amphi 4. Invitation au vote.
Vivement la bibliothèque qui est tjrs ouverte. Moi je travaille. Je vais continuer ma correction sur Duras, lancer la recherche sur Rousseau l’autobiographe et la lecture sur la poétique d’altérité de Valéry : Regards sur le monde actuel...


N.B :
J’avais laissé ce texte après avoir les premières idées sur la grève, car j’ai bcp à lire avant de quitter ici, que ma tête m’avait fait la grève en déclenchant la migraine, et que mon français ne rattrape souvent pas mes idées. Mais puisque la situation m’a réchauffé la tête, voilà une miniature que j’essaie d’établir, un peu mal à l’aise certes, mais amusez-vous, ou opposez-moi.

19/10/2007

Ulysse continu

Ulysse, ou les topos du roman grec : l’amour, le voyage, la métamorphose, la reconnaissance ; les péripéties, le retrouvaille... Ulysse, ou Odysseus, c’est Homère. Homère, c’est tout. Tout est là, pour les auteurs comme pour les lecteurs grecs. Longus considère Odyssée comme le premier roman d’amour, et « chaque fois une question se pose dans le roman grec, dit la prof, les gens font recours dans les textes précédents, les épopées, c’est-à-dire chez Homère. »

Ulysse : (...)Voilà notre secret !...la preuve te suffit ? Je voudrais donc savoir, femme, si notre lit est tjrs en sa place ou si, pour le tirer ailleurs, on a coupé le tronc de l’olivier.
La plus sage des femmes, Pénélope, sentait se dérober ses genoux et son coeur ; elle avait reconnu les signes évidents que lui donnait Ulysse ; pleurant et s’élançant vers lui et lui jetant les bras autour du cou et le baisant au front, son Ulysse, elle dit : Ulysse, excuse-moi !...tjrs je t’ai connu le plus sage des hommes ! Nous comblant de chargrin, les dieux n’ont pas voulu nous laisser l’un à l’autre à jouir du bel âge et parvenir ensemble au seuil de la vieillesse !...Mais aujourd’hui, pardonne et sois sans amertume si, du premier abord, je ne t’ai pas fêté !(...)


(Homère, Odyssée, trad. de V. Bérard. Edi. Folio classique, 2007. P.412)

* * *

Je veux dire que, souvent, je me sens presque amoureuse avec lui. Presque, car j’ignore ce que c’est, ce sentiment, si loin si proche ; car je me sens tantôt Pénélope, tantôt Calypso, tantôt Ulysse lui-même, ou bien, peut-être, l’Aktoris, seule chambrière qui gardait l’entrée de leur chambre aux épaisses murailles. J’ignore s’il existe un dieu des voyageurs, mais ce devrait être lui.

Pour moi, c’est lui le dieu des voyageurs.

Mais pourquoi donc, le combat ? Vous alliez dire que c’est déjà écrit là-haut?

...Sans doute.

« Vous avez le choix : Ulysse ou le Cyclope. Vous choisissez Ulysse. Au péril de votre vie, après dix années de combats, vous avez pris la ville de Troie. C’est votre surnom : « preneur de Troie ». Sur le chemin du retour, vous avez perdu nombre de vos compagnons. Les uns, le Cyclope les a engloutis. Les autres se sont noyés. Ils ont mangé les Vaches du Soleil, en dépit de vos recommandations. Ils ont goûté à des fruits étranges qui procurent l’oubli. Ils ont fait l’expérience de vivre en cochons. Mais vous, Ulysse, vous avez dû lutter. »

(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)

* * *

J’apprécie ce programme Mundus, ou plutôt ce cursus nommé Crossways in Europeen Humanities. Je l’apprécie de plus en plus, malgré ses balbutiements de l’année dernière, et je me réjouis à constater sa mise-en-route de cette rentrée. Dans un séminaire sur l’hétérogénéité de la poétique d’Ezra Pound, devant moi, ce sont ces jeunes gens d’une identité complexe, comme la mienne, une Philippine catholique dont une partie anglaise, une partie française et espagnole, un Canadien d’origine italienne grandi en trois langues, une journaliste mexicaine qui connaît mieux que les jeunes locaux la métamorphose de Dionysos. Les religieux indiens d’un esprit scientifique. Ces admirables voyageurs de lettres.

Et Ezra Pound. Pound a fait l’allusion, dans le premier Canto de sa poésie de vortex, à Ulyssee qui était allé consulter Tiresias. Il a la même question à poser pour le genre humain d’après 1914 : COMMENT RENTRER CHEZ LUI. Moi la Mundus, je pose aussi cette question, je la pose de manière d’un écrivain: l’écrivain, ce n’est que celui qui ne sait écrire et qui a la conviction de persister dans son écriture pour savoir comment écrire.

« Vous avez percé l’oeil du cyclope, le fils de Poseidon. Vous n’aviez pas le choix. De là vient l’acharnement de Poseidon à vous nuire. Pauvre Ulysse, incapable de profiter de l’immortalité toute proche que Calypso vous offre sur un plateau en or. Courage, les déesses vous protègent, et la terre n’est plus très loin !
Vous avez bientôt l’âge de Télémaque, celui d’Ulysse, puis celui de Laërte : déjà vous savez que votre vie s’est jouée quelque part entre Troie et Ithaque. »

(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)

L’intempestif

Si j’ai à écrire, j’écris le passé et le futur. Ce sont mes seules préoccupations.

* * *
Dans le séminaire sur Ezra Pound : « Ulysse veut consulter Tiresias, mais Tiresias est déjà mort ! Alors comment parler avec un mort? »

Comment donc parler avec une personne morte, selon vous ?

Vous vous laissez errer dans le souvenir. Vous pensez à votre vécu avec cette personne morte. Vous ne ferez que ça pour pouvoir parler avec elle. Le retour du passé, c’est de connaître l’avenir. La solution pour l’avenir se cache dans la mémoire : une mémoire collective, plutôt que celle d’une personne ; ou bien une mémoire personnelle devenue collective : comme celle de la femme dans Hiroshima Mon Amour.

* * *
« Mlle Dong a un problème avec du TEMPS ... » Ah, je vous admire, cher Monsieur ! ...Mais je veux dire que vous avez tout à fait raison !!

15/10/2007

Le silence

Rares sont les gens qui puissent partager le silence, dans une situation à deux. C’est souvent une lacune obsédante, on cherche à la remplir avec la parole comme si l’on remplissait un trou.
Si l’on y arrive pas, soit on se gêne, soit on croit avoir gêné l’autre.

Mais le silence, c’est une musique sans bruit, un vide vibrant. C’est le découlement du temps, de l’air et de l’émotion qui s’entendent, qui se sentent.

Il n’y a de partage du silence qu’entre les amis authentiques, les véritables aimants/aimés, car un tel partage demande une confiance réciproque sur la capacité de se comprendre sans se communiquer, sur l’existence même de l’autre, sur la co-existence. Dans ce silence, l’amitié est sûre. L’amour réconforté.

11/10/2007

L'incohésion dans l'Hétérologie (Dossier)

Umm...ça sent académique ici. Je dirais oui, pour ces semaines de la rentrée. La reprise des travaux précédents, le bilan et le plan. Les rdv de la rentrée, les rencontres au centre du monde, la vie renouvellée, le soleil et la mer à en profiter... Et je me laisse boukiner à gauche et à droite, et je continue l'écriture actuelle ou virtuelle.J'avais fait trois dossiers l'année dernière, voilà celui qui me plaît et qui m'inspire le plus.

 

 

Un Saint Malsain

 

---l'Incohésion du processus d'hétérologie dans Pour en Finir avec le Jugement de Dieu d' Antonin ARTAUD

 

 

Seminaire :  Master II Hétérologie- Pensée Sacrificielle et Processus hétérologique

Dirigé par :  M. GIRARD Didier

Rédigé par : Mlle DONG Zhihong 

1ière Année Master Mundus « Crossway in Humanities »

Université de Perpignan Via Domitia

Avril. 2007
 

 

Table de Matière

 

INTRODUCTION

 

I.                  IMAGI- : Forme dégradée

II.               –ACTION : Force radicale

III.           Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique

                                 

 

CONCLUSION

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 


INTRODUCTION

 

-Que c'est l'Hétérologie ?

-Je ne sais pas.

-Pourquoi ? 

-Pourquoi quoi ?

-Mais... qu'est-ce que tu as ?

-J'ai vu un gouffre. Ça tourne la tête. [1]

-Ah bon...

 

Para-Transmission

L' Hétérologie est indéfinissable dans le dictionnaire. Mais l' hétéro- trouve son opposé dans un système dichotomique : comme l'indique le Petit Robert dans l'explication de l'adjectif « hétérologue », ce hétéro- se définit selon l' homo- : c'est un système autre par rapport à d'autres parties d'un organisme.

L'Hétérologie peut alors être défini dans ce sens. En bref, c'est la science de tout autre, dont une position d'au-delà par rapport à cet organisme. Cette position, car c'est une science sans référence aucune dans le système logique : ni la raison ni l'irrationnel, mais la dé-raison, c'est-à-dire une raison dont le sens dérivé de sa routine établie. Cela peut être également un su- : non pas « j'ai su », mais suspect, suspense, voire subversion de ce que j'ai su. (voire même de ce que j'ai à savoir).

L'expérience intellectuelle de cette science hétérogène ne serait-elle pas une sorte de révolte vis-à-vis de l'autorité de la raison, mais plutôt des rencontres des chocs par rapport à des savoirs canoniques: C'est d'essayer de penser l'impensable.

 

L'Incohésion : littéralement, cette segmentation du processus hétérologique que nous allons traiter dans le texte suivant se définit comme ce qui n'est pas « cohésif ». Ne faisant pas partie du monde d'ensemble, celui propre à l'incohésion se trouve à côté de ce dernier. On peut emprunter une figure géométrique pour mieux comprendre la position de l'incohésion ( cette vision physique est d'ailleurs l'une des approches assez efficace dans le système de l'Hétérologie) : figure de la tangente, qui est sur le point de changer le sens du mouvement et d'où la nature inhérente de l'incohésion : l'intempestif à la dimension verticale, et l'incongru à la dimension horizontale.

A part cela, il importe aussi à noter que, malgré l'incohérence externe, l'intérieur de l'incohésion se trouve pourtant structuré dans son global, pour le bien fondé d'un espace intrinsèque. Ce n'est donc pas un point tangent qui s'enfuit mais une sphère qui va se diriger le long de sa propre orbite.

 

Circonstances

 

            Il s'agit dans un premier temps de la théorie de Georges Bataille, à qui l'on doit la notion néologique de « l'hété-rologie » et la pensée sacrificielle, le sacré en gros, comme déjà indiqué dans le titre du séminaire. Il s'agit ensuite de l'époque des années 30s du XXe Siècle, celle d'entre-deux-guerres. Marquée par le mouvement surréaliste, cette époque constate un tournant de la pensée contemporaine, et ce mouvement même est comme une tangente, qui se dirige vers l'impureté, jadis écartée par la tradition intellectuelle. Les créateurs sont souvent «  polymorphes[2] » qui présentent à travers leurs oeuvres le sacrifice, manifestant à la fois la frénésie et l'indifférence dans la réalisation d'un automate spirituel[3] voire celle de l'auto-destruction.

         Parmi ces créateurs on devrait compter Antonin Artaud, homme d'écriture prolifique, ou poète maudit, dont l'oeuvre multiforme souvent dégagée d'une tension malsaine, néfaste même, cela ayant en partie pour cause de son expérience comme malade psychiatrique dans la maison de santé. Il essaie constamment à mettre en avant la saleté et la cruauté humaines, l'oeuvre et le corps demeurant inséparables dans sa création. En ce sens, il est plus que surréaliste, ou plutôt à part de cette communauté d'avant-garde.  

Dans l'abondance de son oeuvre, l'émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu est très remarquable comme un cas de référence dans notre analyse de l'incohésion. Réalisée en novembre 1947 et interdite à la veille de sa diffusion par le directeur de la station radiophonique, c'est à la fois une manifestation vibrante conçue par Artaud de son « théâtre de la cruauté », et la clôture de sa création et de sa vie même.

Tout ce qui se passe autour de cette émission (l'enregistrement, la malédiction, les polémiques après l'interdiction, et enfin la mort de l'écrivain) se présente devant nous comme un tout sacrificiel, incarnant aussi bien les théories de Georges Bataille, qui à l'époque a eu une influence importante sur Artaud. Nous allons donc nous mettre un instant dans l'atmosphère de cette fameuse messe noire, d'où une sorte d'imagin-action comme confluence de la force et l'effet de choc[4] ; en traversant cette étrange de vibration nous essayerons de capter les symptômes de l'incohésion mais aussi de repérer le parcours de sa réalisation, et de voir vers quel sens aboutira ce sacrifice délirant.

 

 

 

 

 


I.                  IMAGI- : forme dégradée

 

Il faut que tout soit rangé

A un point de près

Dans un ordre fulminant. [5]

---Antonin Artaud

 

Cette ouverture de l'émission est comme un résumé bien implicite de l'Incohésion : tout est rangé, dans un ordre à côté et autre.

On dirait un bloc d'image-excrément. Ce doit être la première impression que se donne l'auditeur quand surprendent les mots de souillure aussi concrètes que vulgaires : la fécalité(comme fécalithe), la merde, le caca...le sang, la viande, les ossements, la chaire rouge, la fécondation artificielle avec le sperme et le produit synthétique...Que c'est affreux, cette manifestation des déchets corporels du genre humain !

Justement. Artaud le Momo comprend très bien la magie du langage verbal dans la tradition occidentale : le mot, c'est l'illustration de la pensée, ça donne image ; et « le parler, c'est le penser ». Il expose donc ces tas de gaspillages corporels que l'homme civilisé néglige volontairement pour ne pas s'y mettre en face. C'est une vision purement physique, comme physiologique, et cette sorte de précision physique possède un pouvoir tellement magique qu'elle va engager l'être entier, mettant toute la représentation à l'épreuve du corps sensible[6].  De telle façon il invite(ou plutôt impose) les auditeurs à voir directement et à comprendre littéralement cet enchaînement de la malpropreté, avant d'annoncer d'un ton plus ou moins ironique que « là où ça sent la merde, ça sent l'être ; [...] l'homme ne peut que désirer un changement corporel de fond [7]».

Cette drôle d'installation plastique-déchet établie, qui démontre « la saleté sociale officiellement reconnue, et recommandée », comme déclaré dans la partie de la Conclusion de l'émission, Artaud parvient ainsi à une vérité d'ordre métaphysique, toute crue.

            En plus des transcriptions verbales propres au corps humain, on constate en même temps dans l'émission plusieurs scènes à l'échelle rituelle : L'homme civilisé qui mange délicatement le rat, le peuple de l'ancien continent colombien qui mangent l'opuntia ainsi que la terre où ils vivent, un septième soleil cru, et enfin, un dieu réduit au microbe. De tels rites aussi écoeurants qu'effrayants, bizarrement néfastes.

            C'est que ceux qui vivent sur la Terre de l'ancienne Amérique est « un peuple étrangement civilisé » , et qui ont cru en « une forme de civilisation basée sur le principe exclusif de la cruauté [8]». Et donc qu'est-ce que cette cruauté, qu'Artaud a voulu d'ailleurs monté comme projet de théâtre ? Voyons ce qu'il a défini dans la septième conclusion de l'émission: « la cruauté, c'est expériencé par le sang et jusqu'au sang ; c'est Dieu, le hasard bestial de l'humanité. »

            Voilà la sorcellerie d'Artaud. Dans l'atmosphère obscure pour ne pas dire obscène, l'image de l'homme civilisé codé travestie, celle de Dieu a souffert une distorsion piquante, qui fait du sacré éternel un hasard bestial, de l'infini dehors une infime dedans[9]. Tout cela est comme ce que dénonce la voix féminine dans l'émission : « le ton majeur du rite est justement l'ABOLITION de la Croix ! [10]», ce qui renvoie dans un premier temps à la stratégie de la triomphe de l'homme surexcellent: non pas rompre définitivement avec Dieu, mais le faire déplacer de la Croix pour le rendre incongru en le réduisant au microbe—toujours omniprésent, flottant comme un fantôme, suspendu dans un espace nowhere. Au bout de cette opération, la ligne de démarcation entre la civilisation et la barbarie, entre le sacré et le profane, et enfin, entre le prototype canonique et l'anamorphose, est devenu un zigzag.

D'exposer la vérité métaphysique comme de déformer le sacré, dans les deux cas Artaud a su dé-ranger nos yeux, et probablement notre estomac, quand nous nous ressentons la nausée. C'est l'impureté et l'immoralité qu'il impose, qu'il fait ressentir, et ces deux-là favorise justement l'établissement d'un Tout, un espace de pureté [11], qui n'inspire rien qu'un effet de choc.


II.               –ACTION: Force radicale

 

Il y a dans la nature et il subsiste dans l'homme un mouvement qui toujours excède les limites...Un mouvement par définition ce dont jamais rien ne rendra compte.[12]

---Georges Bataille

 

L'étape de la défiguration du monde en ordre achevée, nous constatons un espace autre, établi à côté de notre système, où il n'y a que des excréments qui répugnent notre sensation oculaire.

Artaud ne s'arrête pas là. Dans cette deuxième étape, qui se réalise en même temps que la première mais dans un autre registre sensoriel, celui de l'effet sonore, Artaud continue à bouleverser les auditeurs, de façon plus violente, acharnée, ondulée ; il va renforcer le choc, déjà effectué au cours de l'opération précédente, « dans un ordre fulminant ».

C'est un remous foudroyant que l'on entend dans l'émission. Dans les premières minutes, Artaud introduit dans l'espace radiophonique une ambiance angoissante en parlant avec un ton tout étrange—c'est encore un ton, au moins, par rapport à ce que l'on entend dans les épisodes qui suivent : l'auteur, ainsi que les trois autres acteurs dans l'émission, vont accentuer ce ton poignant, faisant du parler un hurlement hystérique, un cri d'animaux même[13]. Sorciers, ces acteurs se laissent éructer les injures,  automatiquement, sans contrôles ni réflexions aucunes.

C'est ce que nous appelons l'éjaculation des mots, un acte humain d'instinct qui dégage tant la morbidité que l'animalité, d'une vigueur effrayante. Obscène, tout cela, n'est-ce pas, mais c'est juste cette pulsion primitive qu'Artaud entend monter, comme montrer. Plus que cela, cette pulsion est même exigée par l'auteur, de façon la plus irrationnelle possible, en faveur de la réalisation de cet acte de barbouille. Cette sorte de

contrainte est propre au processus incohérent[14] que nous traitons ici : que toute chose se passe accidentellement, comme si c'était d'un hasard objectif.

L'exigence de cette sorte de hasard est bien réussie, de sorte que nous nous retrouvons tête perdue devant cette scène vibrante: nous faisons effort de suivre les mots qui jaillissent et qui frappent l'oreille, alors que nous nous rendons compte d'une suite du soit-disant raisonnement pointillé, tout hermétique, puisque non causal.

Et bien nous y sommes. C'est qu'Artaud invite à penser comme tel, une manière de pensée « hagarde et aveugle [15]», propre à l'animal acéphale[16], comme théorisait Bataille ; et l'effet de cette aveugle naïveté sera ce qu' «elle devient si grande que tout obstacle se lève devant la force infinie entrée en jeu ; [...] ce qui n'existait pas s'éveille et traverse le temps de sa démarche folle ou ferme. [17] » :

 

Ce qui est grave, est que nous savons après l'ordre de ce monde, il y en a un autre. Quel est-il ? nous ne le savons pas. Le nombre est l'ordre de suppositions possibles dans ce domaine est jusetment l'infini....Qu'est-ce que l'infini ? nous ne le savons pas , c'est un mot pour indiquer l'ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée. Et quelles sont juste que la conscience ? Ô juste nous ne le savons pas ... C'est le néant. Un néant dont nous nous servons pour indiquer quand nous savons pas quelque chose, de quel côté nous ne le savons, et nous disons alors la conscience du côté de la conscience, mais il y a cent mille autre à côté.[...][18]

 

Cette aspiration à penser à l'animalité acéphale, c'est-à-dire à la non-pensée, sera d'autant plus renforcée dans l'atmosphère même de l'émission, grâce au fond sonore, improvisé par quelques excellents musiciens avec tambour, percussion, xylophone, gamelan, cloche d'église et quelques déflagrations. Cette tempête musicale a composé dans l'ensemble une espèce de symphonie chaotique, qui chahute le nerf sensoriel des auditeurs avant de susciter chez eux un égarement palpable.

De là s'est établi en fait un circuit turbulent, aussi vibrant qu'électrique, dans lequel nous perdons toute référence de la raison, nous laissant hypnotiser, envoûter. Voyons la confirmation de cet effet par Artaud lui-même dans la polémique à lendemain de la censure de l'émission :

 

Il y a dans cette émission que je fais les éléments grinçants, lancinants, décadrés, détonants, pour que, montés dans un ordre neuf, ils fassent preuve que le plus cherché est déjà atteint. 

 

Tous ces éléments évoqués, qu'ils soient vocaux ou instrumentaux, s'unissent pour structurer et rendre plus étanche l'atmosphère propre à l'émission. A ce moment-là, ce qui se réalise dans cette même atmosphère, c'est la déstabilisation totale de l'ordre de notre monde harmonieux, avant qu'un « ordre neuf » soit établi: d'une part, c'est la dé-raison, opération réalisée avec l'éjaculation des mots ; de l'autre, la dé-liaison, renforcée dans l'improvisation d'un sillage sonore. A la fin de cette étape, aussi radicale qu'il peut être, est construit cet ordre neuf, dont une atmosphère tout hors de la vie.

Ce que déclare Artaud dans la polémique de l'époque est bien remarquable : « En finir avec le jugement de nos actes par le sort, et par une force dominante, cela signifie sa volonté de manière assez neuve, pour indiquer que l'ordre rythmique des choses et du sort des choses ont changé leur cours. ». Ainsi, nous pouvons rendre compte d'un nouveau monde, celui du délire authentique : sa cohérence se caractérise par le non-rythmique, son sort attaché à une liaison intrinsèque de cette atmosphère.


III. Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique

 

Je tombe, je tombe, je n'ai pas peur...

---Antonin Artaud

 

            A la fin de ces deux étapes d'incohésion, ce monde hétérogène a été bien établi et cimenté. Ce n'est cependant pas l'achèvement de l'acte d'Artaud le poète malsain, le Momo, le sorcier, quel que soit le titre. Mais l'un des titres que les chapelles lui ont conférés dans les journaux à l'époque, celui de « la nouvelle messie », demeure assez inspirant à nos yeux et nous aide à avancer davantage dans notre recherche des processus hétérologiques : en dépit d'une conscience totale, nous pouvons ressentir que l'émission que réalise Artaud concerne une cérémonie religieuse, à un sacrifice rituel. Là donc, il n'y a pas seulement l'incohésion à rendre compte dans l'émission, nous avons besoin de commuter au segment prochain, celui de la totémisation.

            Avant le diagnostic de ce processus, il est bon de rectifier ce que l'on définit comme Totem, notion au centre de notre recherche dans cette partie : c'est quelquechose qui est exclue à l'intérieur, écartée dans un coin. A la différence de la prise de position de l'incohérent qui s'identifie à une tangente à côté, le totèm n'est pas ailleurs, il est , parmi nous[19]. 

            A partir de cette définition, on peut en citer plusieurs exemples de l'opération de totémisation. En fait, Artaud joue avec la notion du totem dans l'émission, il joue d'ailleurs par étapes, en faveur de sa rupture avec Dieu: il a d'abord dénoncé « la fécondation artificielle », devenue le totem des armées américaines et plus généralement celui de l'homme civilisé et sur-excellent. Un totem qui incarne la toute-puissance des spermes et des produits synthétiques par rapport à l'être, qui marque le début de l'époque post-industrielle où l'homme commence à se dés-humaniser avec l'hégémonie de la technologie.

Ensuite, pendant sa bénédiction d'un monde de déchet humain, il a totemisé la merde, le caca, propres à l'être humain et pourtant négligé et exclu à l'intérieur de l'homme, ce qui renvoie de nouveau au problème de l'être, ainsi défiant le pouvoir de Dieu :

 

Là où ça sent la merde, ça sent l'être ; l'homme aurait très bien pu ne pas chier, ne pas ouvrir la poche anale, et il a choisi de chier, comme il a choisi de vivre...C'est que pour ne pas faire caca, il lui aurait concentir à ne pas être, mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être, c'est-à-dire à mourir vivant ; il y a dans l'être quelque chose qui est particulièrement tentant pour l'homme, et ce quelque chose est justement, le CACA ! [20]

 

Ces petits consignes de totem que l'on vient de récupérer visent à se mettre à l'opposion de Dieu, mais là n'est pas encore le coup majeur qu'Artaud a su donner dans l'é-mission, au sens original du mot. La véritable puissance chez Artaud réside en ce qu'il se fait témoigner, et plus encore, se témoigne. Sur cela, ce que dit Roger Vitrac de l'auteur demeure éclairant : « un mage d'une magie dont il est à la fois le sujet et l'objet. »[21]

D'abord le côté objectif. Visiblement dans  la danse de Tutuguri , il fait témoigner aux auditeurs ces étranges de rites chez le peuple mexicain (l'homme qui mange le cheval, l'opuntia, la terre où ils vivent, etc. ), et plus loin, dans la Conclusion, impose la scène de l'émasculation de Dieu : 

 

Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organe, alors vous l'aurez délibéré, et le rendu à sa véritable et immortelle liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l'envers...cet envers sera son véritable endroit. 

 

            Ces deux scènes mettent l'auditeur à la place du témoin, au sens original, c'est-à-dire rituel ; l'une comme l'autre nous aidera à comprendre l'essentiel dans un tel sacrifice : une fois que l'énergie du totem-victime est libérée, le sacré est atteint.

            Voyons maintenant le côté subjectif de cette « magie », qui constitue le point-clé dans toute la réalisation de l'émission, et dont la compréhension nous proposerea un déclic dans une telle recherche hétérologique. C'est que le poète se fait le Bouc Emissaire, un victime qui survit[22]. Il s'agit de là de ce que Deleuze appelle l'automatie spirituelle[23] , au niveau radical. L'énergie d'Artaud l'émissaire se libère quand il « s'abandonne dans la férocité humaine »[24], avant même d'atteindre le délire total, conséquence nécessaire pour compléter une cérémonie sacrificielle. Ce statut de l'autre moi qui me regarde souffrir s'entrevoit dans ces paroles suivantes :

 

[...] Mais il y a une chose qui est quelquechose, une seule chose qui soit quelquechose et que je sens, parce que ça va sortir ! [...] Il y a un coin où je me vois en train de dire non, quand on me presse, que je suis suffoqué. [25]

 

            De cet auto-sacrifice, Artaud se met dans un double rôle de sorcier-victime, celui-ci incarné à l'intérieur, alors que les auditeurs restent stupéfaits devant ce choc, ne sachant réagir ni réfléchir puisque impuissants, comparable à la place du témoin dans un sacrifice rituel proprement-dit.

            C'est alors que s'achève complètement la malédiction gratuite d'Artaud. Devant tout ce spectacle, aussi effrayant qu'il peut être, nous ne pourrions rien réagir que de dire « n'importe quoi, quoi ». Avec un tel acte qui échappe à notre capacité de juger, Artaud s'est désormais crucifié dans le coin quelque part dans son émission, à l'intérieur de laquelle s'ouvre un gouffre béant.

 

 

 

 

 

 

 

 


CONCLUSION 

 

La réalité hétérogène est celle de la force et du choc. Elle se présente comme une charge.

--Georges Bataille[26]

 

Parmi les cinq processus hétérologiques, la segmentation d'incohésion, marquée par l'incongruité vue de l'extérieur et le bien-structuré dans son global, est propre au champ de la création artistique. Or tous les oeuvres d'art ne sauront incarner cette position à la fois délicate et complexe. Antonin Artaud y est parvenu, à travers son émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu. Il y est parvenu de façon tellement radicale que l'effet même de choquer et de frapper le système sensoriel des auditeurs devra retourner vers lui-même.

On peut résumer cet acte comme une représentation de l'irrationalité concrète, qui agace constamment notre sensation. Le concret de l'impureté en premier : il impose pour démontrer au monde civilisé la souillure, la saleté ; il joue avec la puissance de l'impur, comme dit Bataille, qui a le même effet que le sacré et qui sert de fond à la purification d'une croyance adaptée[27]. Cette purification s' effectue et devient « prometteuse » dans le processus qui suit, caractérisé par l'irrationnalité, le délire à l'extrème, en faveur d'une dérivation de l'ordre conventionnel.

C'est dans une telle atmosphère que cet acte devient un sacrifice, dans lequel Artaud joue le sorcier, jète les sorts les plus violents, y compris celui sur lui-même. A ce temps-là on est déjà au-delà de l'incohésion pour rejoindre la segmentation prochaine, celle de la totémisation, puisqu'Artaud devrait provoquer, à part l'auto-témoignage, le témoignage chez les auditeurs.

Néanmoins, ce n'a pas été fait. Une telle cérémonie n'a pas été complete. Cette plénitude est rompue brusquement avec la censure de l'émission à la veille de la diffusion, ce qui détourne à la fois l'essentiel et l'intention de la création de l'auteur. On peut dire dans ce sens que ce n'est encore pas un totem, mais un quasi-totem qu' Artaud a façonné, car un auditeur d'un disque n'est plus pareil que celui d'une émission radiophonique en direct, qui enchaînera une réaction imédiate et non préparée. La réalité est qu'Artaud est mort peu de temps après cette censure. Sur cela, on prend le risque ici de dire que l'auteur est presque condamné à mourir : vue que le sacrifice émissif n'a pas été fait, la mort du sorcier devra rendre l'auteur un véritable totem et ce n'est qu'ainsi que l'émission, la malédiction se verra complètes et feront force à l'infini.

A partir de cette émission qui est devenue un chant funèbre de quelque sorte, il est bon aussi de réfléchir sur la relation entre ces différentes segmentations dans le processus hétérologique qui s'ensuivent. Il est à noter que la radicalité qu'a pris Artaud dans l'é-mission pour effectuer l'éjaculation des mots n'est déjà pas loin du fait d'un transit de décharge, soulignée dans la segmentatino qui précède, celle de l'excrépulsion.

D'autre part, entre l'incohésion et la totémisation, segmentations qui ont plus de lien avec notre recherche, nous supposons que, si l'incohésion est un parcours inhérent à l'acte de création, la totémisation concerne alors le monde qui se met en face, celui de la réception. Dans de telles créations se trouvent les éléments hétérogènes, dont nous sommes familiers et qui ne sont pourtant pas propres à nous, et le Tout constitué de ces derniers va nous envoûter, nous influencer pour nous faire évoluer.

Le déclic à travers cette recherche reste donc à ce que le processus hétérologique, comme impliqué les noms même des processus, constitue en une « -tion ». L'hétérologie est de fond une mise-en-mouvement. C'est avant tout un mouvement qui se charge à dépasser le monde de la dichotomie, à pointiller la ligne de démarcation conventionnelle avant d'atteindre un espace d'au-delà ; c'est en même temps une interaction, plutôt voisine, entre les différentes segmentations, en faveur d'un renouvellement non pas de la connaissance, mais de la cognition. Ce mouvement étant à l'infini, nous ne cherchons pas à définir ni son sens ni sa finalité, comme nous ne l'avons pas fait vis-à-vis de l'émission d'Antonin Artaud, mais nous nous efforçons d'y penser et d'y traverser.


BIBLIOGRAPHIE 

 

 (...) 

 

Composition du CD Pour en Finir avec le Jugement de Dieu:

-Revue de Presse janvier et février 1948.

-Radio 1948 : Avec les voix de Roger Blin, Maria Casarès, Paule Thévenin et Antonin Artaud. Présentation par Roger Vitrac

1  Texte d'ouverture

2  Bruitage

3  Danse du Tutuguri

4  Bruitage, xylophonie

5  La recherche de la fécalité

6  Bruitage et battement entre Roger Blin et moi

7  La question se pose de...

8  Bruitage et mon cri dans l'escalier

9  Conclusion

10  Bruitage final



[1] « Chacun de nous est un gouffre ; on a la tête qui tourne quand on regarde au fond. » La mort de Danton, Georges Büchner.

[2] Voir les matériels du séminaire sur le site : http://gala.univ-perp.fr/~dgirard/

[3] L'Image-Temps, Cinéma2.Gilles Deleuze, Coll. « Critique », Edi. Minuit. 2002. P. 221.

[4] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaire de Perpignan, 2006. p. 156

[5] Texte d'ouverture de Pour en finir avec le jugement de Dieu.

[6] On n'enchaîne pas les volcans, Annie le Brun, Edi. Gallimard, NRF, Coll. Essais. P. 118.

[7] Cf : La déclaration d'Artaud dans la polémique suite à l'interdiction de l'émission.

[8] Cf la partie Conclusion de l'émission.

[9] Cf la partie III-A la recherche de la fécalité de l'émission : « L'homme a 2 routes à choisir : l'infini dehors, l'infime dedans. Il a choisis l'infime dedans. »

[10] Cf la partie II-Tutuguri de l'émission .

[11] « Seule l'épaisse, onctueuse impureté peut passer pour connaissable et descriptible et racontale... Nous nous représentons l'indicible pureté à partir de la dicible impureté. ». Citation 57 de Georges Bataille dans le polycopié.

[12] Erotisme, Georges Bataille. Voir aussi la citation 7 de la poligraphie sur Bataille.

[13] Cf : Effet sonore avant la partie de la Conclusion.

[14] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 159.

[15] On n'enchaîne pas les volcans, Annie le Brun, Coll. Essais, NRF, Edi. Gallimard. 1997, P. 119.

[16] Bataille introduit cette notion en parlant de la scatologie, qui vise à « baisser de quelques degrés le siège de la pensée, [...] à faire perdre la pensée à la tête. Retour à la bêtise, à l'animalité acéphale. »

[17] Idem 1, P. 120.

[18] Cf : la partie « la Question se pose de... »

[19] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 162.

[20] Cf la partie II A la recherche de la fécalité de l'émission.

[21] Cf Présentation de l'auteur qui précède l'émission : « Roger Vitrac vous parle de l'auteur ».

[22] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 163.

[23] L'Image-Temps, Cinéma2.Gilles Deleuze, Coll. « Critique », Edi. Minuit. 2002. P221.

[24] Dans le même épisode « Roger Vitrac vous parle de l'auteur ».

[25] Dans la partie « La question se pose de... » de l'émission.

[26] Polycopié Citaion 23.

[27] « Le pur et l'impur ont en commun d'être des forces qu'il est loisible d'utiliser ; or plus la force est inense plus son efficacité est prometteuse : d'où la tentation de changer les souillures en bénédictions, de faire de l'impur un instrument de purification . », G. Batailles. Polycopié sur G. Batailles, P.23.

 
 


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